Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)

Série V | Correspondance générale

Sélection de lettres

LETTRE 50.08   |   30 mars 1750
D'Alembert (Paris) à Euler Leonhard (Berlin)

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f. 125rMonsieur

J'ay eté très flatté de la lettre que vous m'avés fait l'honneur de m'ecrire, mais vous ne devés point etre faché de ce qu'on m'a dit que vous n'etiés nullement content de mon ouvrage, puisque cette nouvelle n'a aucun fondement. D'ailleurs si mon ouvrage etoit mauvais, ce seroit ma faute et non pas la vôtre ; vous feriés fort bien de me le dire, & moy de me corriger. J'ay bien senti que ma solution seroit penible à suivre, je connois pourtant des geometres habiles qui s'en sont donné la peine, & qui m'en ont paru satisfaits, d'ailleurs l'accord de nos conclusions m'oteroit tout espece de doute, s'il pouvoit m'en rester. A l'egard de la solution en elle même, je vous avoüe que f. 125v je doute encore qu'elle puisse etre plus simple, quand on voudra resoudre le Probleme rigoureusement, c'est a dire regarder la Terre comme un spheroide & ne point negliger certaines petites quantités. Car si on veut faire quelques negligences, alors la solution se simplifie & se reduit à des differences premieres, comme vous le pouvés voir art. 116 de mon ouvrage. Je verray pourtant s'il est possible de la simplifier, car votre authorité est tres grande pour moy ; et j'auray l'honneur de vous mander ce que j'auray trouvé.

Je continüe mon travail sur la Lune, & je suis prêt même d'en voir la fin : car je crois avoir poussé les calculs aussy loin que la patience humaine peut les porter. J'ay fait chemin faisant plusieurs observations sur les problemes de ce genre ; & j'ay trouvé en particulier des choses très singulières dans le calcul du lieu de la Lune.

f. 126rA l'egard du mouvement de l'apogée, je le trouve assés conforme aux observations, & je ne doute pas que vous ne le trouviés comme M. Clairaut & moy, si vous voulés vous donner la peine de calculer plus exactement la valeur du rayon vecteur de l'orbite lunaire, en vous servant pour cela de la belle methode de votre piece sur Saturne. Mais il y a sur cet article une remarque essentielle à faire, que je ne sçay si personne a faite, & sans laquelle il me semble qu'on ne peut s'assurer de la bonté de la solution. Je suis actuellement occupé à des calculs relatifs à cette remarque, & je ne doute point qu'ils ne confirment la Theorie newtonienne. J'auray l'honneur de vous mander ce que j'auray trouvé, mais je vous prie de ne rien ecrire en France de ce que je vous dis icy. Au reste le mouvement de l'apogée est à mon avis une des choses des moins essentielles dans la Theorie de la Lune, puisque quand ce mouvement ne s'accorderoit f. 126v point avec l'attraction, en raison inverse du quarré des distances, cette attraction ne seroit pas detruite pour cela. Il ne seroit pas même necessaire d'en changer la loy, puisqu'on pourroit attribuer ce Phenomene à quelque cause particuliere, comme la vertu magnetique, ou &c. Il est bien plus essentiel de s'assurer si le lieu de la Lune repond assés exactement aux observations, & c'est ce que je crois avoir appris à M. Clairaut, comme il m'a appris ce qui concerne l'apogée.

J'ay l'honneur d'Etre avec la plus parfaite consideration,

Monsieur Votre tres humble & tres obeissant serviteur

D'alembert

à Paris ce 30 mars 1750.

A Monsieur
Monsieur Euler professeur de mathematique & des academies Royales des sciences de Berlin et de Petersbourg
à Berlin