Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)

Série V | Correspondance générale

Sélection de lettres

LETTRE 50.10a   |   [c. septembre 1750]
D'Alembert (Paris) à Cramer (Genève)

Datation de la lettre

La lettre se situe clairement entre les deux lettres de Cramer du 5 août (50.10) et du 2 octobre (50.11).

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f. 12rJ'etois bien eloigné, mon cher monsieur, d'etre faché contre vous de ce que vous ne m'aviés point cité. Mais je le seray suis encore bien moins depuis que je scay vos vrais motifs. Le silence que vous gardés sur cet article m'avoit fait craindre d'avoir commis quelque erreur dans l'endroit de mon memoire de Berlin ou j'en parle. Mais je vois à  présent que vous avés seulement craint de desobliger Mrs. de Gua & Euler, & je ne puis vous en scavoir mauvais gré. Mr. Euler s'est bien plus mal conduit avec moy à cet egard. Car apres avoir donné dans la meme Erreur que l'abbé De Gua, mon memoire le fit changer d'avis, & il a inseré dans son livre, sans me citer, une remarque qui contredit ce qu'il avoit avancé. Au surplus je dois vous dire que j'ay eté en quelque facon complice de l'erreur de l'A. De Gua. Car c'est moy qui fis en 1740 l'extrait de son livre pour le journal des savans, & de la maniere dont je parle dans cet extrait des rebroussemens de la seconde espece, il est aisé de voir que j'etois alors de son avis. C'est par un pur hazard que je me suis appercu de la meprise, en travaillant a  mon memoire de Berlin 1746, & ne voulant etre relevé par personne, je me hatay d'y inserer cette remarque, et de m'en assurer par la  incontestablement la possession. Mais en voila assez et trop sur tout cela.

Puisque mes remarques ne vous ont point deplû ; je vais les conf. 12vtinuer, et je commenceray par répondre à quelques articles de votre lettre.

Il me semble que la remarque que j'ay faite sur l'art. 12 fournit le seul moyen de demontrer bien nettement la difference de position des coordonnées. Elle ne demande que la transposition d'un seul axe, parallele au 1er. Il est peut être à propos de ne parler en general de la transposition quelconque des axes, qu'apres avoir parlé des coordonnées positives et negatives. Mais on peut ce me semble parler de la transposition d'un seul axe avant d'avoir donné la distinction des coordonnées pos. & neg. Au pis aller il est facile d'eviter ce mot transposition de l'axe, pour ne l'employer que quand il sera question de la transposition en general.

A votre reponse sur l'art. 18 je pense comme vous qu'il doit y avoir quelque principe simple pour demontrer que les racines imaginaires sont toutes de la forme \(x+y\surd{-1}\) ou \(x-y\surd{-1}\). Mais jusqu'icy je me suis fatigué vainement à  le chercher. Mr. Euler dans son livre l'a fort mal démontré. Votre reponse sur l'art. 34 m a fait d'autant plus de plaisir, que n'ayant pas beaucoup reflechi sur cette matière, je m'imaginois qu'il pouvoit etre difficile de prouver qu'en changeant les coordonnées, l'Equation d'une courbe ne s'abaissoit pas. La demonstration que vous en donnés en un mot dans votre lettre, est très juste, & me rend presque honteux.

A l'egard de l'idée que je me fais des differens ordres d'infinis, la voicy en deux mots. Qu'est-ce que represente ce signe de l'infini \(\infty\) ? Il représente, du moins pour ceux qui ont des idées claires, une grandeur finie indeterminée, qui peut etre plus grande qu'aucune grandeur finie assignée. que veut dire donc \(\infty^2\) infiniment plus grand que \(\infty\), cela veut dire que si on prend une quantité finie \(y\) qu'on soit libre d'augmenter tant qu'on voudra, la difference f. 13r de \(y^2\) et de \(y\), ou \(y^2-y\) peut toujours etre supposée plus grande qu'aucune grandeur finie assignée, pourvu qu'on donne à  \(y\) la valeur convenable. Cela veut dire aussi que \(\frac{y^2-y}{y}\) c'est a dire la difference de \(y^2\) et de \(y\), divisée par \(y\) exprime un rapport qu'on peut supposer aussi grand qu'on voudra. Les inf. petits de differents ordres sont la meme chose. Supposons que \(y\) diminüe jusqu'a zero, \(y\) sera \(>y^2\), et \(\frac{y^2-y}{y^2}\) peut etre supposé aussi grand qu'on voudra. En developpant cette idée, ce qui est facile, on parviendroit ce me semble a donner une idée nette de tous ces infinis de differens ordres.

Je continue maintenant mes remarques, et je commence par vous dire, mon cher monsieur, qu'elles ne sont pas plus importantes a mesure que j'avance. Au reste vous verrés par ce que je vais vous dire que je me suis principalement attaché aux principes generaux, et j'ay seulement parcouru legerement les exemples, dont la lecture m'auroit jetté trop loin.

Je commenceray par vous demander si vous croyés vray et demontré en rigueur ce que vous sembléz supposer dans vos Recherches sur les series (art 98 et suiv.) savoir qu'une serie convergente qui ne renferme points de termes imaginaires, exprime toujours une quantité réelle ? Prenés \(\sqrt{aa-xx}\) \(x\) etant plus qrand \(a\) que mais de très peu, & reduisés ce radical ensuite, la serie sera toute réelle, & aura bien l'air convergent ; cependant une telle serie induiroit en erreur. je vous avoüe que je me defie assés de toute cette methode des suites ; au reste ma remarque, quand elle seroit fondée ne porteroit qu'une très legere atteinte aux consequences que vous tirés de cette methode par rapport aux bandes infinies, je passe donc à votre Chap. X sur les points simples & multiples, & quoy que je ne vous desaprouve pas d'avoir suivi les notions ordinaires de serpentemens infiniment petits, triple inflexion &c. je vous avoüe que je n'ay jamais f. 13v gouté les notions que l'on en donne communement. Ce que l'on appelle serpentement infiniment petit, ne me paroit autre chose qu'un point conjugué placé sur une branche de courbe ; j'en dis autant des autres points, & je crois qu'on peut reduire tous les points singuliers à des points conjugués placés sur des branches. Dans le fond tout cela ne signifie autre chose sinon que l'ordonnée de la courbe en tel ou tel point a trois valeurs egales qui ne sont exactement & rigoureusement qu'une meme valeur. Pour vous faire mieux sentir ma pensée, je prends la courbe \(\overline{y-a}^3=x\) ; on a \(y=a+\sqrt[3]{x}\). & si vous dites que \(y\) a 3 valeurs quand \(x=0\), et que cela indique trois points coincidens de la courbe, je ne vois pas pourquoy vous ne diriés pas aussi que \(y\) a trois valeurs dans \(y=a+\sqrt[3]{x}\), en sorte que la courbe seroit formée de trois branches appliquées l'une sur l'autre. Tous ce que vous pouvés me répondre, c'est que l'Equation \(\overline{y-a}^3=x\) a trois racines une reelle scavoir \(y-a=\sqrt[3]{x}\) & deux autres imaginaires que je designe ainsi \(X\surd{-1}\) et \(-X\surd{-1}\), de sorte que la courbe a une branche réelle indiquée par \(y=a+\sqrt[3]{x}\) & deux branches imaginaires, \(y=a+X\sqrt{-1}\) et \(y=a-X\sqrt{-1}\), qui n'ont qu'un seul point lorsque \(x=0\). Mais cela meme prouve l'existence du point conjugué dont je vous parle. Un serpentement nul n'est autre chose qu'un point simple, et, pour qui veut parler clairement, un serpentement infiniment petit n'est qu'un serpentement nul. Je voudrois savoir votre pensée la dessus. Au surplus je conviens que le fond de tout cecy peut renfermer des questions de nom, & pourvu qu'on se forme des idées nettes, les termes sont assés arbitraires, surtout lorsqu'ils sont deja consacrés.

J'en dis autant des notions que vous donnés sur la courbure des courbes. Dire que les courbures des cercles sont en raison inverse de leurs rayons; me paroit une definition de nom : car a proprement parler un cercle dans une certaine portion de sa circonference n'est pas plus courbe qu'un autre cercle dans une semblable portion de la [La lettre conservée s'interrompt malheureusement au bas de cette quatrième page.]