Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)

Série V | Correspondance générale

Sélection de lettres

LETTRE 56.20   |   26 novembre 1756
D'Alembert (Paris) à Formey (Berlin)

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f. 1r Monsieur

Je reponds sur le champ à la lettre que vous me faites l'honneur de m'ecrire en date du 13, & que je viens de recevoir. M. Euler me rendroit bien peu de justice, s'il croyoit que mon intention fût le moins du monde de le desobliger, ou de paroitre lui chercher querelle. Je vous avoüe cependant que si j'ay jamais cru avoir raison sur quelque chose, c'est sur les differens points qui font l'objet du memoire en question, & si quelque chose pouvoit m'en faire desirer l'impression, c'est de voir la reponse que Mr. Euler y a jointe, car plus j'examine la chose, moins je vois ce qu'il peut repliquer à mes raisons. Ce n'est point, comme il le croit, dans des momens de f. 1v vivacité que j'ai ecrit ce memoire, mais a tête bien reposée, & je crois y avoir traité mes deux adversaires avec toute la politesse possible. Si la note que j'ay mise à la page 3 deplaît à Mr. Euler, je le prie de se mettre un moment à ma place, et de juger si je n'ai pas raison de me plaindre. J'espere qu'il y fera reflexion, & qu'il voudra bien sur les deux points dont il s'agit dans cette note me rendre la justice qui m'est dûe. J'ose l'assurer que j'ai eu bonne part, et peut être la principale à l'honneur distingué qu'on lui a fait de le nommer associé surnumeraire etranger de nôtre académie. C'est ainsi que j'en agis avec les personnes que j'estime, même lorsque j'ai quelque sujet de me plaindre d'elles. Comme je compte aller à Berlin dès que les circonstances me le permettront, je desire, monsieur, de trouver Mr. Euler parfaitement content de mes procedés, comme j'espere l'être des siens. Ainsi, puisqu'il pense que de pareilles querelles ne sont pas séantes dans nos memoires, je consens que mon memoire ne soit pas imprimé, mais à deux conditions, la 1ere que vous voudrez bien me renvoyer ce memoire aussitôt la presente recüe, tout simplement par la poste ; car je n'en ai qu'une copie tres informe, & je voudrois bien ne le pas perdre, la 2de. que Mr. Euler voudra bien me faire parvenir f. 2r en même tems et dans le même paquet pour ma propre instruction, un extrait de sa reponse, ou sa reponse même. Pour l'y engager, je lui donne ma parole d'honneur de me retracter publiquement dans vos memoires, si je trouve qu'il ait raison. Si Mr. Euler me refuse cette grace, en ce cas je vous prie d'imprimer mon memoire, tel qu'il est, et sans y changer une syllabe. Je vous prie instamment de me rendre reponse sur le champ, parce que si mon memoire est imprimé, je vous envoyerois tout de suite une addition assez curieuse, qui ne regarde nullement M. Euler ni M. Bernoulli. M. Euler peut etre assuré que je ne garderai pas longtems son memoire, et que je le lui renvoyerai, par quelque occasion.

M. de Maupertuis est à St. Malo ; je n'en ai point de nouvelles directes, je le crois pourtant en bonne santé, mais les circonstances presentes rendent sa position embarassante et fâcheuse.

J'ai recu le tome X des memoires, & je vous en suis infiniment obligé. Je suis aussi très sensible au parti que vous avez pris de vous desister de l'Encyclopedie réduite. Je crois que vous n'aviés pas assez refléchi aux consequences de ce projet, et votre conduite me persuade qu'avec les honnêtes gens on n'a jamais rien à redouter sur leurs procedés. J'ay l'honneur d'etre avec une consideration infinie,

Monsieur,

Votre très humble et très
obeissant serviteur
D'alembert
à Paris 26 nov. 1756.