Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)

Série V | Correspondance générale

Sélection de lettres

LETTRE 57.02   |   [5-10 janvier 1757]
D'Alembert (Paris) à Formey (Berlin)

Version affichée :

f. 1r

reçuë le 19 Janv. 1757.

Monsieur

Je n'avois consenti à la suppression de mon memoire que pour faire plaisir à M. Euler, qui suivant votre lettre avoit paru le desirer ; mais puisqu'il vous mande aujourd'hui que cela lui est indifferent, et que de mon côté je crois très fort avoir raison, je vous prie d'imprimer ce memoire tel que je vous le renvoye ; je n'y ai absolument rien changé que deux ou trois petits mots de compliment qui me paroissent aujourd'hui fort inutiles, apres que j'ay vu le ton d'aigreur et presque de mepris qui regne dans la reponse de Mr. Euler. Je me flatte de vous envoyer bientôt une replique ou je le satisferai pleinement sur tous les points, et de maniere qu'il ne lui restera pas le moindre subterfuge ; mais comme je veux travailler cette replique à mon aise, et que j'ai d'ailleurs d'autres choses à y ajouter qui ne regardent point Mr. Euler, elle ne sera que pour le volume de 1756. Si je n'ecoutois que mes interêts & non ceux de M. Euler, je desirerois que sa reponse restât absolument telle qu'elle est ; mais je crois devoir lui representer que cette replique contient des choses qui peuvent lui faire tort, en faisant croire qu'il est piqué. On f. 1v n'appercevra rien de semblable dans la mienne ; Pourquoi, par exemple, Mr. Euler dit il art. VI de la 2de. partie, Mr. D'alembert s'oppose avec tant de chaleur ? à quoi bon ces derniers mots, qui au fond ne prouvent rien, et qui ne sont pas vrais ? ne vaudroit il pas mieux dire tout simplement, Mr. D'alembert s'oppose. Le dernier article de son memoire est le plus desobligeant, et ne contient que des injures. Il me semble que Mr. Euler, pour l'interêt de sa propre moderation, et de sa propre gloire, devroit se contenter de dire ; Cependant quelque convaincante que soit cette demonstration, je ne sçai pas si j'ose me flatter que Mr. D'alembert abandonnera son sentiment. Quoiqu'il en soit je souffre aisement qu'il croie avoir raison pourvu qu'il m'accorde la même liberté. Cela me paroit bien plus digne de Mr. Euler, et bien plus convenable. Il vous a dit qu'une pareille dispute sera indécente dans nos memoires. Elle ne le sera pas, si Mr. Euler supprime ce que j'ai l'honneur de lui indiquer ; je vous prie, Monsieur, de vouloir bien faire part de cette proposition à Mr. Euler, parce que s'il n'y consent pas, je dois me conduire en consequence dans la replique que je lui prépare, et qui sera la dernière. Je vous annonce d'avance qu'il sera bien etonné de la reponse que je lui feroi sur l'hydrodynamique de Mr. Bernoulli, en cas qu'il ne f. 2r raye pas cet article, qui ne peut que prolonger et eterniser la guerre entre nous. J'attends, Monsieur, votre reponse, & vous prie de me croire avec la plus parfaite consideration.

Monsieur

Votre très humble et
très obeissant serviteur

D'alembert

P.S. Je crois, Monsieur, que ce qui a piqué Mr. Euler, c'est la note de la page 3 de mon memoire, ou je ne fais cependant que revendiquer mon bien, sans lui rien dire de desobligeant. Je consens cependant à la suppression de cette note, mais à deux conditions essentielles, aux quelles je vous prie de tenir la main ; la premiere est qu'il fera dans sa replique les suppressions que je lui propose dans cette lettre. La seconde est que dans le volume même de 1755 Il declarera formellement que la methode qu'il a donnée p. 269 et suiv. des mem. de 1749 pour reduire les quantités imaginaires à la forme (a+bsurd{-1}) est la même que j'ai donnée dans les mem. de 1746 p. 192 ; que j'ai aussi donné le premier en 1749 dans mes recherches sur la precession des Equinoxes, une methode generale pour trouver le mouvement quelconque de rotation d'un corps autour de son centre ; Problême que Mr. Euler a resolu ensuite dans les mem. de 1750 par une methode differente ; et qu'ainsi il a avancé trop generalement p. 189 des mem. de 1750 qu'on n'avoit jusqu'alors consideré dans la mechanique que le mouvement de rotation qui suppose l'axe immobile ou parallele à lui-même. Mr. Euler peut ajouter s'il veut, f. 2v que c'est par oubli qu'il ne m'a pas cité, et tout ce qu'il voudra d'ailleurs pour se disculper, pourvu qu'il me rende justice. Si Mr. Euler refuse ces deux conditions ou seulement une des deux, je vous prie, Monsieur, de laisser subsister la note. J'ai joint à mon memoire un Errata que je vous prie de faire imprimer dans le vol. de 1755. Pardon, Monsieur de toutes les peines que je vous donne, mettez moi a portée de vous obliger en quelque occasion, ma reconnaissance et mon estime vous repondent de mon zele.

Je viens de voir une dissertation du P. Frisi sur le mouvement de la terre, que vous avez honoré du prix cette année. En verité je suis etonné de votre indulgence. Il y a plus de fautes dans cette dissertation que de pages. Cela fait tort à l'academie.

Oserois je vous prier, Monsieur, de veiller à ce que mon memoire soit imprimé le plus correctement que faire se pourra ? Car je n'ose prier Mr. Euler d'en avoir soin.