Manuscrit autographe (Collection particulière)

LETTRE 52.03   |   [20 ou 21 janvier 1752]
D'Alembert (Paris) à Crequÿ (Froullay) Mme (Paris)

Folio :

Il faudra donc, Madame, se passer de perdrix aujourd'huy, mais non de vous voir et de vous entendre, honneur que je compte me donner ce soir.

Il est vray que omnes est dans la these, mais quibus y est aussi : voici exactement la proposition ; apres avoir rapporté un passage de Tertullien, ou il est dit que les Demons nuisent, et que quand ils cessent de nuire, ils passent pour avoir gueris ; l'abbé de Prades conclut avec Origene : donc toutes les guerisons (on ne dit pas tous les miracles) operés par J.C. (si on les separait des Propheties, qui repandent sur ces guerisons un caractere de divinité) seroient des miracles equivoques, et qui paroitroient ressembler en quelque chose à certaines guerisons operées par Esculape.

Vous voyés madame qu'il n'est pas question ici de tous les miracles, mais de toutes les guerisons, ce qui est fort different, et de ces guerisons separées des Propheties, ce qui est fort different encore. Il est certain que Celse objectoit à Origene les guerisons éclatantes & en apparence miraculeuses d'Esculape, & qu'Origene y repondoit en reunissant les guerisons aux Propheties. Vous voyés donc que l'abbé n'est pas si coupable ; a l'egard de sa pretendue opiniatrêté, je l'ay toujours vû fort docile & prêt à se retracter ; mais quand il s'agit de perdre quelqu'un, les mensonges ne coutent rien. Aussi l'ancien syndic Digaultray, ou comme Made du Deffand l'appelle, Dicotrets, homme digne d'un plus beau nom, a pris la defense de la these dans la derniere assemblée, c'est une grande histoire que je vous conteray si mieux n'aimez que je vous conte autre chose. Ce Digaultray, ou Dicotrets a requis que les Docteurs motivassent leurs avis, attendu qu'il etoit certain que plusieurs condamnoient la these sans l'avoir lüe. Il y a apparence que l'abbé de Prades finira par etre ecouté dans ses defenses. Les Jesuites ont soutenu mercredy une These ridicule sur les miracles, & ont eté mis au sac par un cordelie. Voilà de beaux details. Voicy mon Epitre à Mr. d'Argenson. Il n'en savoit rien, et a eté fort surpris, comme vous pensez : j'y avois joint une lettre qui accompagnoit le livre. Mais la lettre n'est que pour vous, et pour Mr. votre oncle si vous voulez.