Manuscrit autographe (Archives de l'Académie des sciences, Paris, fonds Maupertuis 43 J, n° 71)

LETTRE 52.07   |   4 août 1752
D'Alembert (Paris) à Maupertuis (Berlin)

Folio :

à Paris ce 4 aoust 1752

J'ay recu il y a environ 15 jours, mon cher amy, par la voye de Strasbourg un paquet de votre part, contenant 8 exemplaires du recueil de vos ouvrages, imprimé a Dresde. J'en ay mis un a part pour moy, car je compte bien que vous m'en avez destiné un : j'en ay donné un à La Condamine, à qui vous avez ecrit de le retirer ; pour les six autres je ne les ay point rendus parceque j'en ignore la destination ; je vous aurois ecrit pour le savoir si j'avois scu ou vous prendre; en attendant je les garde soigneusement chez moi. Je recus hier une lettre de vous dans laquelle vous avez oublié de me mander à ce sujet ce que je devois faire.

Je suis tres content du parti que vous avez pris par rapport à mes memoires. Mon dessein n'etoit point que celui ou je revendique ce qui m'appartient fut imprimé ; je voulois seulement que vous l'examinassiés et que vous me fissiez rendre justice. Je n'ay point eu envie d'attaquer M. Euler, et je n'ay jamais douté que des qu'il feroit attention a mes justes sujets de plainte, il ne me donnât la satisfaction que je suis en droit d'exiger. Je voudrois bien que dans le papier ; et qu'il expliquât aussi ce qu'il a dit sur mon memoire touchant les racines imaginaires vous a attaqué sur cet article tres mal à propos ; et à l'egard du second, c'est un theoreme d'algebre assez important pour que je sois flatté de l'avoir decouvert le premier. Au reste je ne pretends rien oter à M. Euler, mais seulement reclamer ce qui est à moi, je ne l'accuse point de mauvaise intention; mais seulement peut être d'un peu de negligence à mon egard : je n'ay rien fait pour perdre son amitié ; je lui ay rendu en toute occasion la plus exacte justice, et il est tres vray que malgré tout ce qu'on peut lui avoir ecrit, il me doit le prix double de cette année : je ferme les yeux sur les torts qu'il peut avoir eus, en me privant il y a deux ans du prix que je meritois, c'est ce qui m'a empeché de concourir une seconde fois, comme aussi d'envoyer rien à Petersbourg, mais je ne veux plus m'exposer a tout ce qui depend du caprice ou de la mauvaise humeur des hommes. Vous pouvés lui lire, si vous le jugez a propos, cet endroit de ma lettre. A l'egard de vos memoires, tout ce que vous ferez sera bien fait.

Je vois par la même lettre que vous n'imprimez point non plus mon memoire sur les logarithmes des quantites negatives. Celui la est purement de controverse mathematique, et ne touche à aucun procedé : je le crois assez fort en faveur du sentiment que Mr. Euler combat; cependant, si cela lui fait de la peine, je le supprimerai très volontiers ; mais je voudrois au moins que pour le bien de la chose, il examinât mes objections, et qu'il tâchat d'y repondre dans un supplement à son memoire ; a condition que s'il repond à ces objections et qu'on n'imprime pas mon memoire, il ne me nommera pas, et ne me designera même en aucune facon: Il pourra s'il veut y repondre comme s'il se les faisoit à luy même. Encore un coup je vous laisse absolument le maitre de l'imprimer ou non, mais je vous avertis que si on ne l'imprime pas, il y a à la fin de mon addition au memoire sur les cordes vibrantes, une ligne a retrancher, parceque j'y cite le memoire dont il s'agit. Je vous prie d'y faire attention.

La Condamine m'a communiqué le jugement de l'academie, au sujet de votre procès avec Knig ; par ou je vois que Mr. Kœnig est un fripon, et fripon assez maladroit. Je vous promets d'en faire mention dans le 3e volume de l'Encyclopedie à l'article Cosmologie ; car apparemment les docteurs n'auront rien à voir là. Je voudrois bien aussi vous justifier dans ce meme article au sujet des preuves de l'existence de Dieu que vous avéz attaquées. J'ay remis à Diderot mon article (qui etoit bon) il faudra l'adoucir un peu pour la Sorbonne ; mais je tacheray que vous ayez au moins quelque satisfaction contre les Theologiens. Pour ce qui regarde Mons Kœnig vous l'aurez entier, je vous en reponds. Mr. de Paulmy ne m'a point encore remis mon exemplaire, mais n'importe. J'ay donné à l'abbé Raynal un petit extrait du jugement de l'academie. Il paroitra dans le mercure d'aoust, et je crois que vous en serez content. Dans l'Encyclopedie, je parleray en mon nom, & je parleroi encore mieux. J'ay enfin cedé aux sollicitations sans nombre qui m'ont engagé a reprendre cet ouvrage. Entre nous je n'ay jamais eté absolument determiné à le quitter. Mais je voulois me faire prier assez pour qu'on craignit de me degouter deux fois. Au reste je me borneray aux articles de pure science, si j'en fais d'autres, ils ne paroitront pas sous mon nom, & seront approuvés par qui je voudray ; c'est une de mes conditions. Le journal des savans a promis aussi de me faire satisfaction ; ainsi voila mes deux griefs principaux appaisés.

Je crois qu'on sera très content du 3e volume, nous recevons tous les jours de nouvelles richesses, & le gouvernement paroit enfin prendre quelque interêt à l'ouvrage. Il n'y aura que la partie Philosophique, qui sera sujette à caution. On la fera le moins mauvaise qu'on pourra. Je voudrois bien voir ce que Mr. Haller a ecrit contre nous. On m'a dejà dit que les allemands etoient mecontens de ce que je n'avois pas assez loué Leibnitz dans la preface. Il me semble pourtant que je luy ay rendu justice. A l'egard de Mrs. les allemands, il faudra voir ; s'ils nous attaquent, nous nous defendrons. Mais je suis d'avis qu'afin de ne point nous detourner de notre ouvrage, nous renvoyions toutes les controverses au dernier volume. Je feray pour lors un discours postliminaire qui contiendra l'histoire de l'Encyclopedie, de ses traverses, de ses succez, de ce qu'il faudroit faire pour la perfectionner. Je voudrois d'avance etre au moment de faire ce discours: car il y aura de bonnes anecdotes et de bonnes choses.

Je suis très impatient de voir vos lettres Philosophiques. Je vous supplie instamment de m'en envoyer un exemplaire par la poste, le prix ne me fait rien; a moins que le livre ne soit trop gros. N'y dirés vous pas un mot de notre chere Sorbonne, de nos chers Pretres, de nos chers moines, de nos chers jansenistes, de nos chers jesuites, de nos chers devots, de nos chers Jean-foutres &c ? à Dieu, mon cher monsieur ; je vous embrasse de tout mon cœur. Faites un effort pour venir voir vos amis.