Minute autographe (Ms. Suppl. 517, f. 3-4)

LETTRE 53.13   |   3 août 1753
Le Sage Georges Louis (Genève) à D'Alembert (Paris)

Folio :

A Mr D'Alembert, des Acad. R. de Paris & de Berlin, par le Prof. Mallet, le 3me Aout 1753.

Monsieur,

Vous savés mieux que moi ; qu'un Auteur est toujours assés sûr de trouver un Libraire & des Lecteurs, si le titre de son Livre annonce quelque chose d'amusant & de facile à saisir ; & que le Public n'attend pas pour le lire, d'avoir apris que cet Auteur est déja connu par quelqu'autre Ouvrage. C'est que le tems & la peine qu'il risque d'y employer à pure perte, ne sont jamais bien considerables.

Mais vous n'ignorés pas non plus, qu'il en va tout autrement, lorsqu'on veut publier des Livres de Mathematique. Les lecteurs à qui on a affaire ; ne voulant entreprendre qu'à bonnes enseignes, une lecture penible, dans laquelle ils ont été précédés par peu de personnes qui puissent leur en indiquer le prix ; ils ont bien plus d'égard au nom de l'Ecrivain. Ainsi, cette partie de la Republique des Lettres, n'est pas pleinement Démocratique : Elle a des membres subalternes ; dont la position ne leur permet pas de se produire eux mêmes un peu avantageusement ; & qui sont obligés de recourir à quelque Patron genereux, qui leur epargne la dure necessité de faire la Cour à un Libraire important & à un Public dedaigneux.

Vous devinés déja, Monsieur, que la position dont je vous parle, c'est la mienne. Je suis en effet parvenu à un âge, où les portefeuilles d'un homme qui pense, se remplissent : Et les circonstances où je me trouve, sont telles, que je dois souhaiter d'en tirer quelque parti. J'ai jetté les yeux à cette occasion sur tous les Mathematiciens de l'Europe ; pour y chercher des directions judicieuses & desinteressées, des corrections severes sans être humiliantes, & un appui qui fût aussi distingué par sa bonté que par son credit : Et quoi que j'aye pû me dire de votre santé & de vos occupations ; je n'ai pû renoncer à un choix, dont je n'ose vous developper les motifs, de peur de blesser en vous une qualité qui marche toujours à la suite d'un merite superieur.

[paragraphe déplacé, déplacement indiqué par A. et B.] Je sentois bien, qu'en m'adressant à une personne comme Vous ; si j'avois un refus à essuyer, j'en serois plus sensiblement affligé : Mais j'ai fait reflexion aussi, qu'il m'humilieroit davantage, s'il venoit de la part d'un homme mediocre ; car mon Apathie ne s'etend pas tout-à-fait jusqu'à mepriser le mepris de mes egaux.

Outre l'ebauche de quelques Traités de differens genre ; j'ai dans mes papiers celle de 30 à 40 Memoires de Mathematique & de Physique ; plus petits que ceux dont Mr Diderot a fait part au Public, & sur des sujets moins profonds ; mais qui aprochent peut-être de la prècision de ceux-ci. Mais, ayant le foible de neat pouvoir me resoudre à faire paroitre dans les Journaux du second ordre, qui, à l'egard de ces matieres, sont le meprisé refuge des seuls chercheurs de Quadrature & de leurs semblables ; Il seroit bien gracieux pour moi ; d'en voir quelques uns imprimés parmi ceux des Correspondans de l'Academie & quelques autres à part, sous les auspices d'un genie, dont le Gout, sûr & reconnu, peut donner le ton à tous ceux qui en ont déja assés pour bien choisir leurs guides.

Si vous me laissés esperer que vous pourriés bien vous prêter à mes vuës quand vous aurés vû quelque echantillon de ce que je sais faire, je mettrai au net quelques uns de ces Memoires, sur les sujets que vous aurés nommés : Et ce sera Monsieur le Professeur Mallet, mon cher compatriote, qui aura l'honneur de vous les presenter. Quoique je vous aye designé ce digne ami, par les titres qui me sont les plus precieux : Je voudrois bien encore qu'il me permit d'y joindre quelques uns des autres titres qu'il merite. Mais je me flatte, que vôtre penetration suppléera aisément à mon silence  ; dès qu'il aura eu quelques fois un avantage que je lui envie infiniment, celui de pouvoir profiter de plus près de vôtre commerce.

C'est avec le respect le plus réfléchi que je suis, Monsieur
Vôtre t. h. & t. o. s.

Lesage fils

Genève Rüe Verdaine

Géométrie
1. Maniere de concevoir les Infinimens petits, qui previent les Difficultés qu'on oppose aux fondemens de ce Calcul.
2. Avantages de la mesure des Surfaces & Solides par des unités Triangulières & Tetraëdrales, qui ne se rencontrent pas dans l'usage reçu du Quarré & du Cube.
3. Sur le nombre des Dimensions de l'Etendüe.
4. Le Tems consideré comme Dimension de l'Etendüe.
5. Sur l'Arrangement de Sphères egales qui se touchent ; & sur celles qui peuvent en occuper les interstices. A l'usage de quelques questions de Physique.
6. Considerations sur trois espèces de Quadrilatères.
7. Reflexions sur l'Angle Rectiligne.
8. Sur la 35eme Definition & le onzieme Axiome d'Euclide : Qu'aucun Auteur ne m'a paru avoir llremplacé, que par des Definitions ou des Axiomes encore plus defectueux par eux-mêmes ou par les consequences qu'on a crû pouvoir en inférer. Et moyen de demontrer tout d'un coup la 32eme du 1er Livre, à la suite d'un Axiome dont les Lecteurs conviendront aisément.
9. Maniere de demontrer les Propositions des Lignes ; sans avoir recours aux Surfaces, comme Euclide ; ou à des idées abstraites de ressemblance, comme quelques Allemans (& nôtre incomparable Mr Cramer).
10. Observation par laquelle seule s'eclaircissent d'elles-mêmes les differentes Questions qu'on a elevé sur les Converses. Avec une Application aux exemples que les Auteurs ont cru embarassans.
11. Problèmes resolus à l'aide de la seule ligne droite. Par exemple, une approximation très rapide de la multisection quelconque d'un Arc proposé.
12. Plan d'une Methode pour demontrer directement les propositions negatives ou exclusives.

Calcul
1. Pensées sur la Notation ou les Signes.
2. Substitution des Nombres Figurés aux Puissances, dans certains cas. Et expression de la Quadrature du Cercle par une seule Racine Figurée.
3. Reflexions sur la recherche du plus grand commun diviseur de deux quantités proposées.
4. Petition de principe de tous les Auteurs à moi connus sur la Demonstration du Théorème qui porte, que : Tout nombre Entier, a, pour Racine d'un degré positif quelconque ; un nombre Entier ou un nombre Sourd. Et moyen de suppléer à ce Paralogisme.
5.
Methode d'Aproximation pour les Racines Quarrées Imparfaites. Elle me paroit plus simple & plus rapide qu'aucune de celles qui sont parvenuës à ma connoissance.
6. Solution d'une Question de Maximum, & de celle de Minimum qui en est la Converse.
7. Sur l'inutilité des Proportions.
8. Sur une espèce de Proportion, que l'on pourroit distinguer par le Titre d'Algébrique ; & dont j'attendois des usages pour le Calcul Exponentiel, qui se sont reduites à rien.
9. Observation Psychologique sur la Soustraction & la Division.

Physique
1. Reflexions sur l'Inertie.
2. Experience qui semble demontrer que la Matiere Magnetique n'a aucun mouvement progressif. Je l'ai executée de maniere à rendre ce mouvement très sensible s'il eut existé.
3. Experience à faire sur l'accord ou l'opposition des Principes dont se sont servi Mrs. Huygens & Newton pour determiner la Courbure de l'Ocean. Je tâcherois de ne pas deplaire à Mr. Bouguer, quoique je ne puisse me ranger à son avis là dessus.
4. Remède à la multiplicité des Foyers des Grands Telescopes Dioptriques, & à la difficulté d'en tailler les Objectifs.
5. Preservatif contres les Incendies.
6. Preservatif contre quelques Inegalités des Horloges à Ressort destinées aux voyages de long Cours.
7. Moyen d'entretenir une correspondance presque instantanée entre deux villes fort eloignées.
8. Essai sur la Generation.
9. Sur la Nature du Fluide qui enfle les Muscles.
10. Sur la Réunion des Glaces.
11. Sur la possibilité de voyager dans les airs.
12. Machine à Raisonnemens.
13. Mechanique des Abstractions.
14. Pensées pour servir à une Chronologie Physique.
15. Pensée sur le Frotement.
16. Reposer commodément sur des pointes d'aiguille : Problème de simple curiosité, pour reveiller l'attention des Commençans sur les causes de la Mollesse. J'en donne en peu de mots trois ou quatre Solutions.
17. Faire en sorte qu'une Baguette, posée verticalement sur une Table, sans aucun secours exterieur s'y maintienne en Equilibre malgré les petites oscillations que lui font faire l'agitation ordinaire de l'Air.