Minute autographe (Ms. Suppl. 517, f. 14)

LETTRE 57.09   |   15 avril 1757
Le Sage Georges Louis (Genève) à D'Alembert (Paris)

Folio :

Monsieur

En m'accordant la permission de vous ecrire, vous y joignés celle de le faire sans formalités. J'en profite. Vous souvient-il, que dans le carrosse de Rilliet, je vous parlai d'un esprit très philosophique, Mr Reverdil, qui avoit sacrifié à toutes les muses, & que Genève perdoit depuis quelques années sans le connoître autant qu'il méritait ? eh bien, c'est lui qui vous présente cette Lettre. Je ne vous dirai pas un mot de tout le bien que j'en pense, parce que mon suffrage, déjà mince par lui-même, seroit suspect encore à cause de l'amitié qui nous unit. Vötre coup-d'œil, & un quart d'heure de conversation vous mettront mieux au fait de ce qu'il vaut. Son pis aller, j'espère, sera que vous le trouviés au moins en état, de tirer parti des vues neuves & grandes que vous avés sur toutes les sciences, soit pour ses études propres, soit pour la composition d'un journal qu'il va diriger à Copenhague.

les instructions que je vous demandois dans ma dernière lettre ; je vais vous donner l'ennui, dans relire les objets dans celle-ci. Si cependant, le dépit que vous donnoit cet ennui étoit de nature à retrancher quelquechose de la parcelle d'amitié que vous avés bien voulu m'accorder ; je vous prierois bien fort de ne pas faire cette lecture.

C'est d'avant-hier seulement, que je sais, que vous avés eu la bonté de me faire nommer des commissaires, pour un second Examen de ou Essai sur l'origine des forces mortes : Je n'entreprendrai pas de vous en remercier dignement.Le développement que j'osai donner dans ma dernière Lettre à Vôtre Pensée sur le rapport fini des Pressions aux Percussions (en tant qu'il semble indiqué par la sensation d'un Poids fait sur la main) ; n'avoit pour motif, que distinguer tellement les parties de ce Raisonnement, qu'on sût précisément laquelle avoit besoin d'un appui ultérieur : mais, je me plus à la présenter sous un point de vüe qui fortifoit beaucoup une de mes idées favorites, c'est que l'action de la gravité n'est pas continuë ; en vous laissant absolument le droit (qu'il aurait été bien absurde de vous contester), d'en faire tout l'usage que vous jugeriés à propos. Si je postulai aussi dans la même Lettre, une place dans votre Encyclopédie, à un Projet pour réduire presque à rien, le Frottement de certaines machines ; quoique je susse qu'il y avoit déjà sous ce titre un très grand nombre de matières : C'est parce que mon addition, auroit été extremement courte, & d'une utilité immédiate très frappante. Mais, je ne trouverois pas le moins du monde mauvais, que vous en eussiés jugé autrement, et agi en consequence.

J'en dis autant, à l'avance; de l'article Gravitation, où vous m'avés offert de parler de ma Théorie ; de l'article Inverse pour lequel vous aves entre les mains un Mémoire de ma façon ; et de l'article Levier, auquel je prépare un Appendice, qui renfermera une Démonstration entièrement neuve, et tout à fait indépendante de la décomposition des forces comme de la considération des vitesses initiales.

Le terme accordé pour s'inscrire comme prétendant à la Chaire de Mathématiques est passé depuis quelque tems ; sans que ni moi, ni personne d'autre, nous soyons présentés pour la disputer à Mr. Necker. Il a même déjà commencé ses Epreuves ; dont il se tire fort bien, comme vous vous y attendiés sans doute. L'élection se fera le 22ème du courant. [Note : Il pourroit bien vacquer dans peu une ou deux Chaires de philosophie. Elles sont plus lucratives que celle de Mathématiques ; mais les leçons s'y donnent en Latin, que je parle difficilement ; de sorte que je ne disputerois pas non plus à Mr. Necker, s'il en avoit envie ; & je me bornerois alors à lui succéder en Géométrie si on vouloit de moi sans l'appareil des Epreuves usitées, & seulement sur le suffrage de juges compétens.]

Après les bontés dont vous m'avés comblé ; ai-je tort de faire profession d'être à la lettre.

Monsieur

Votre.

Lesage

A Genève, rue Verdaine 15 eme Aout 1757.