Manuscrit autographe (Ms. Suppl. 1036, f. 80-81)

LETTRE 57.32   |   17 décembre 1757
D'Alembert (Paris) à Vernes (Genève)

Folio :

Monsieur

Il faut que vous n'ayez pas encore lû l'article Genève, puisque vous pretendez que j'y accuse vos Ecclesiastiques de n'avoir pas beaucoup de foi à l'Ecriture Ste. Je dis au contraire formellement que vous avez beaucoup de respect pour Elle, & que vous expliqués de votre mieux les passages de l'Ecriture qui peuvent paroitre contraires à vos opinions ; cela suppose que vous reconnoissez l'autorité de ce livre. Ainsi, Monsieur, vous voyez que le Clergé de Geneve n'a sur cet article aucune imputation à me reprocher. Comme c'est la seule chose dont vous vous plaignez dans votre lettre, c'est aussi la seule à laquelle j'aurai l'honneur de vous repondre. Je dois seulement vous ajouter, monsieur, que quand vos Ecclesiastiques auront lû avec attention l'article Geneve, ils me remercieront peut être au lieu de se plaindre. Il est vrai que je ne leur accorde pas beaucoup de foi aux peines éternelles ni à la Trinité, et vous savez, monsieur, mieux que personne, combien le fait est vrai ; mais bien loin d'avoir cru les blesser en cela, j'ai imaginé qu'ils me sauroient gré d'avoir exposé leur maniere de penser, dont il m'a paru qu'ils ne se cachoient pas, et qu'ils cherchoient même à se faire honneur. Au reste, Monsieur, quelque parti que prennent vos Messieurs par rapport à moi, vous devés, comme ami de Mr. de Voltaire, les avertir qu'il n'a pas la moindre part à l'article Geneve, ni directement, ni indirectement ; qu'il ignoroit même absolument que ni moi, ni d'autres, travaillassions à cet article. Si la colere Theologique doit tomber sur quelqu'un, c'est sur moi seul, et j'en attends tranquillement les effets.

A l'égard de la dissertation que vous avez insérée dans votre recueil, permettez moi, monsieur, de vous representer qu'ayant eu l'honneur d'être lié avec vous, j'avois lieu de m'attendre que vous m'en donniez communication ; je vous aurois convaincu aisément du peu de fondement de l'imputation de M. Reverdil. Il vous auroit même suffi de jeter les yeux sur l'article arrenage pag. 706 du 1er. vol. col. I, vous y auriez vû 1°. que je n'y dis en aucun endroit, comme Mr. Reverdil l'avance, que l'intérêt de l'intérêt est aussi bien dû, et aussi legitimement exigé que le principal. 2°. que je distingue formellement deux sortes d'intérêt, le simple et le composé, & que j'étois separement de ce qui est dû au creancier dans l'une et l'autre hypothese, sans rien décider d'ailleurs quant au moral. Nos Theologiens, beaucoup plus intraitables que les vôtres, n'auraient pas manqué de tirer avantage de mon silence, si je l'avois gardé en cette occasion ; cette raison, monsieur, & mon estime pour vous a produit la lettre que vous avez lûe dans le mercure. Si Freron ou Palissot m'eussent attaqué de leur chef, je ne m'en serois guere mis en peine. J'avois écrit des le 1er. novembre à Mr. Necker pour vous demander la dessus un mot d'éclaircissement ; J'ai attendu jusqu'au 20 du mois, qu'en ne recevant de réponse ni de vous ni de lui, j'ai crû me devoir à moi même ma justification.

J'ai l'honneur d'etre avec respect

Monsieur

Votre très humble
et trés obeissant serviteur
D'Alembert

à Paris ce 17 Dec. 1757

A Monsieur
Monsieur J. Vernes
Ministre de l'Evangile
à Geneve