Manuscrit autographe (Archives Tronchin 167, p. 301-303)

LETTRE 61.19   |   13 juin 1761
D'Alembert (Paris) à Tronchin (Genève)

Folio :

Monsieur,

Permettez vous à un homme qui n’est peut-être pas trop bien avec le Consistoire de Geneve, mais qui n’a point oublié vos anciennes bontés, et qui se flatte de les mériter encore par son estime et son attachement pour vous, de vous demander une grace ? Mr. L’abbé d’Hericourt, qui depuis longtemps se conduit par vos conseils, vient de partir pour Geneve, afin d’être à portée d’en tirer plus de fruit, dans le triste état où sa santé se trouve. L’estime generale qu’il s’est acquise, et les sentimens qu’il inspire à tous ceux qui le connoissent, et à moi en particulier, font désirer beaucoup à ses amis et à sa famille que ce voyage ait le succès qu’il en espere. Comme je prends, Monsieur, le plus vif intérêt à son état, oserois-je vous supplier de vouloir bien me dire, dans la plus grande vérité, ce que vous en pensez ? Il arrivera, ou du moins il compte arriver à Genève ; avant la fin de ce mois. Quand vous l’aurez vu, et examiné pendant quelques jours, vous m’obligeriez sensiblement de me mander comment vous le trouvez. Ceux qui s’interessent à lui, et qui sont en grand nombre, imaginent que le lait pourroit lui être bon ; que peut-être même ce seroit le seul moyen de le guérir, et je desirerois savoir ce que vous pensez sur cela. Puisque je ne doute point que Mr. L’abbé d’Hericourt ne vous parle avec le plus grand détail et la plus grande vérité sur son état, je crois, Monsieur, devoir vous dire que mon estomac est fort dérangé depuis longtemps, qu’il a commencé a prendre de bonne heure, & très jeune des remèdes chauds qui peuvent avoir contribué a le déranger, & qu’il a peut-être trop continué de prendre. C’est à vous, Monsieur, c’est à vos lumières, si justes et si reconnues, à lui prescrire le regime qu’il doit suivre. Je n’ai plus qu’une grace à vous demander ; c’est de ne point dire à Mr. L’abbé d’Hericourt que j’ai eu l’honneur de vous écrire ; je finis en vous suppliant de nouveau de me parler avec la plus grande verité sur mon état, & sur ce que vous en pensez, & de me croire avec la plus parfaite considération.

Monsieur

à Paris ce 13 juin 1761.

Votre très humble et

Très obéissant serviteur

D’Alembert

rue Michel - le Comte

P.S. Vous pouvez me parler avec d’autant plus de confiance, que je n’abuserai point de ce que vous me ferez l’honneur de me dire. Je n’en parlerai qu’aux personnes qui y sont veritablement interessées.