à Paris ce 31 mai

Je vous suis très obligé, mon cher ami, d'avoir bien voulu me donner par vous même de vos nouvelles, et de celles de Madame la Comtesse de Rochefort a qui je vous prie de presenter mon respect ; les miennes sont assez bonnes, Je me promene, et je travaille peu, c'est le moyen de faire, comme on dit, vie qui dure. Duclos a eté en effet un peu malade ; il se porte mieux a present, & vous fait mille remerciemens & complimens. Je ne suis point etonné que Madame de Rochefort, avec le caractere raisonnable que je lui connois, s'accommode très bien de la vie simple et raisonnable que vous menez dans vos montagnes, & je le suis encore moins de la satisfaction que Madame votre mere a du avoir de la connoitre et de la voir telle qu'elle est.

Il n'y a pas grand chose de nouveau ; rien de Geneve, au moins que je sache ; les pâques ont tari pour un moment la source des brochures ; cela reviendra bientôt apparemment, & j'en ai peur ; les deux seules brochures qui meritent votre attention sont les voyages d'un Philosophe par M^r. Poivre, & le traité de la liberté de fontenelle ; mon laquais vous les procurera. J'attends avec grande impatience le 20 du mois prochain puisque ce sera le moment de votre retour. M^lle. de lespinasse qui vous fait mile remercimens de votre souvenir, me charge de vous en faire encore davantage de votre carrosse que vous lui aviez offert pendant votre absence, mais dont elle n'a point entendu parler, et dont en conséquence elle n'a fait aucun usage. Cela n'empêche pas qu'elle ne vous dise mille choses ainsi qu'à Madame la Comtesse, et qu'elle ne vous assure du desir qu'elle a de vous revoir l'un et l'autre. Adieu, mon cher ami, je vous embrasse & vous prie d'etre assuré de mon sincere et inviolable attachement.

D'alembert

A Monsieur
Monsieur le Comte
de Rochefort, chef de brigade
des gardes du corps
à Mende