Manuscrit autographe (Archives de l'Académie des sciences, Paris, collection Bertrand 63J, carton 1)

LETTRE 69.87   |   18 décembre [1769]
D'Alembert (Paris) à Frisi (Milan)

Folio :

à Paris ce 18 decembre

Mon cher et illustre ami, il y a bien longtemps que je ne vous ai donné de mes nouvelles, et je me reproche un peu ce long silence ; il est vrai que plusieurs raisons y ont contribué ; ma santé n’a pas eté trop bonne, j’ai passé un assez long temps à la campagne, et l’académie des sciences dont je suis directeur cette année, m’a obligé a plus d’occupation qu’a l’ordinaire.

Le supplement que vous nous avez envoyé pour votre piece, n’a pu être mis au concours, malgré mes representations ; l’académie a jugé qu’il seroit trop dangereux de recevoir des supplemens, après le terme échu. Au reste, ce supplément ne vous sera pas inutile ; car je crois pouvoir vous assurer d’avance, que quand même le prix seroit donné, nous proposerions encore de nouveau le même sujet, sur lequel il me semble qu’il reste encore beaucoup à faire. Quant à votre piece, je ne puis actuellement vous en rien dire, etant du nombre des juges ; mais je vous en dirai davantage quand le jugement aura eté prononcé.

Je vous seroi très obligé d’assurer de mon profond respect son excellence monsieur le comte de Firmian, et de lui témoigner le desir que j’ai de meriter de plus en plus son estime. Il occupe une place où il est a portée de favoriser le progrès des lettres et de la philosophie ; et c’est un grand bonheur pour votre ville de Milan d’avoir a sa tête un Gouverneur si éclairé.

Nous avons eu ici le P. Boscowich qui a remporté sa jambe à peu près dans le mauvais etat où elle etoit venue. On m’a dit qu’il se plaignoit de ce que je ne l’avois pas fort accueilli ; vous savez que je n’ai pas trop de sujet d’en être content, d’ailleurs cet homme est insupportable (soit dit entre nous) par la fureur qu’il a de parler sans cesse de lui, de ses pretendues decouvertes, et de ses beaux vers latins, qui ne sont pourtant, ce me semble, ni les unes ni les autres, propres à faire tomber à la renverse d’admiration. Il me semble que tout le monde, à l’exception peut être de son valet de pied Lalande et de son hôte La Condamine, a jugé ici a peu près comme moi, et de son merite et de sa personne.

Je ne sais ce que le Pape cordelier fera des confreres du P. Boscowich ; mais je sais qu’on feroit très bien de purger l’Europe de cette vermine remuante et intolerante.Je vais faire paroitre au commencement de l’année prochaine une seconde édition de mon traité des fluides, ou il y a quelques additions, à la verité en petit nombre ; je vous prie d’avance de l’accepter. J’y joindrai le 4e volume de mes opuscules, qui me paroît absolument perdu, quoique je vous l’aye envoyé il y a plus de dix huit mois. A dieu, mon cher et illustre ami, je vous embrasse de tout mon cœur, et suis pour toujours

Tuus ex animo
D’Alembert

A mon Reverend Pere
Le Tres Reverend Pere Frisi
Professeur royal de mathématique,
et membre des académies
de Berlin, de Londres, de Petersbourg &c.

à Milan