à Paris ce 19 sept.

Ma très chère et très respectable malade, je ne suis que mediocrement content des nouvelles que vous me donnez de votre santé ; j'aurois mieux aimé un je me porte bien, quelque sec qu'il pût etre, que tous les raisonnemens, d'ailleurs très plausibles, de votre medecin sur la cause de votre maladie. J'espere au moins que si Esculape n'a pas tout à fait terminé votre guerison, apollon que vous allez voir l'achevera. Je vous envie bien le plaisir que vous aurez. Je vous prie, ma chere malade, & en cas de besoin je vous ordonne comme votre medecin, de le bien embrasser pour moi ; il en sera plus gai, & vous vous en porterez mieux. Je le crois fort occupé, c'est peut etre tant-pis pour moi, car il y a longtemps qu'il ne m'a écrit mais c'est tant mieux pour la chose publique ; et je suis assez bon citoyen de notre pauvre republique des lettres, toute délabrée et toute vexée qu'elle est, pour sacrifier mes interêts à son avantage. J'ai eu le plaisir d'epancher mon cœur sur le compte de notre Patriarche le jour de S^t. Louis en pleine académie, en disant au Public, qui a fait chorus avec moi, tout ce que je pense et ce que je sens pour ce cher maitre. S'il y a quelque chose de nouveau, j'espere bien que vous nous le rapporterez. Je me recommande surtout pour cela à Monsieur le Comte de Rochefort que j'embrasse bien tendrement ; M^lle. de Lespinasse me charge de vous dire mille choses à l'un et à l'autre ; elle espere bien vous revoir en bonne santé ; la sienne est toujours assez mauvaise ; des douleurs, et point de sommeil. Voilà a peu près l'histoire de son jour et de sa nuit. Adieu, ma très chere et très respectable malade, je vous aime et vous respecte trop pour finir avec vous par la formule ordinaire ; je vous garderoi le secret sur votre voyage. Adieu, adieu, recevez l'assurance des sentimens les plus tendres & les plus respectueux.

A Madame
Madame la Comtesse de Rochefort, chez M^r. de Voltaire
à Ferney pays de Gex.