Manuscrit autographe (Archives de l'Académie des sciences, Paris, pochette du 8 janvier 1774)

LETTRE 73.102   |   [novembre 1773]
Vausenville (Null) à D'Alembert (Paris)

Folio :

Lue à l'acade. française le samedi 18 Xbre 1779. à celle d'architecture le lundi suivant. à celle de chirurgie le jeudi 23. & à celle des inscriptions le 24. suiv

Lettre de M. Le Rohbergherr de Vansenville professeur de mathématiques corrspondant de L'academie Royale des Sciences de Paris, historiographe de la ville de Vire, en basse Normandie sa partie &c.

à M. d'alembert de L'acadamie francaise, de Lacademie Royale des Sciences, de Paris, de la Societé Royale de Londres, des academies de Berlin, Stokolm, St. Petersbourg & de l'institut de Boulogne &c.

Monsieur,

Vous devez vous rappeller qu'en 1770, j'ai eu l'honneur de vous écrire, pour scavoir de vous ce que vous pensiez sur l'impossibilité de la quadrature définie du cercle, & vous me fites la reponce suivante que je rapporte mot pour mot. "je ne connois point, Monsieur, de demonstration rigoureuse de l'impossibilité de la quadrature définie du cercle, mais je croisla chose si difficile, que je doute qu'on y parvienne. Signé D'alembert.

Je presentai dans le même tems, un mémoire à l'academie des sciences pour la consulter, sur la forme de proceder à cette résolution, en y joignant trois équations pour figurer ma route, offrant d'en démontrer la validité. Sur quoi l'academie nomma M. Jeaurat pour en faire son rapport, mais ce commissaire trop prévenu en faveur de l'impossibilité, sans pouvoir deduire aucune raison sufisante, loin de m'écouter selon le droit & la justice, s'applique entierement à me chicaner sur des choses purement pueriles & sans fondement ; mais il n'y gagna rien, car il fut reduit à la necessité d'avouër qu'il n'avoit rien à repondre à mes arguments que je mis par écrit. Je sollicitai son rapport, il me promis de le faire ; cependant il aima mieux se désister que de remplir sa promesse. M.  Pingré fut nommé à sa place par l'academie : ce commissaire également prévenu, sans être mieux fondé, ne daigna pas lire mon mémoire, & ce ne fut qu'à force de sollicitations que je l'y engageai ; cependant, après l'avoir lü, il en fit son rapport à l'academie, en concluant en ma faveur, que si je démontrois la validité des équations proposées, on ne pouvoit douter, que le problème ne fut entierement resolu Mgr Le duc D'orleans en ayant entendu parler envoya chez M. defouchy qui le confirma. . La dessus les voix s'eléverent pour empêcher l'enregistrement de ce rapport, & j'appris que vous fûtes le plus ardent à vous y opposer, quoi que votre lettre ci-dessus rapportée, fusse deja dans mes mains. L'enregistrement n'eut donc point lieu, par ce que vous avez prétendu, que ce seroit vouloir favoriser des erreurs ; ainsi, par votre authorité, vous avez enchainez la liberté des suffrages, en captivant le sentiment d'autrui, sous les loix que vous donnez à l'oppinion, & par là, on ma fait un deni de justice contre lequel je reclame aujourd'hui. Instruit de ce qui s'etoit passé en pleine academie, j'eus l'honneur de vous voir chez vous, je vous presentai ma demonstration par écrit, pour vous convaincre de la vérité que j'annoncois, je vous sollicitai à la lire, mais ce fut en vain, vous ne daignâtes, ni voir, ni lire, ni entendre : vous eûtes seulement la complaisance de dire qu'il y avoit cent millions a parier contre l'unité que jetois dans l'erreur.

Je vous prie, Monsieur, de dire hautement surquel fondement, avez-vous pû tirer une pareille conclusion, contre un homme enrollé parmi les scavants dès l'année 1754, qui a paru avec avantage à l'academie, applaudi dans plus d'un genre, & que vous même avez complimenté plus d'une fois. Je ne puis croire sans vous faire in-justice, que cet hommage fut fondé, sur la protection dont m'honoroit une illustre Princesse, Louise henriette de Bourbon conty, Duchesse D'orleans, morte en 175 un philosophe ne considere ces choses, que comme des attributs du mérite personnel, sur lequel seul, il doit fixer ses régards ; mais en supposant qu'il en fut autrement, il en resulteroit une in-consequence de votre part, car vous m'avez honoré du même avantage en 1766, longtems après la perte de cette princesse, & vous m'avez complimenté comme bien d'autres, sur l'art de Rayer, ou faire des figures semblables par une méthode variable plus prompte que l'impression que j'ai développée : vous en avez admiré les essais que je vous ai fait voir, & vous scavez trés bien, que cette méthode ingénieuse fut applaudie, & authentiquement approuvée par l'académie, sur le rapport de Mr defouchy & de Mairan qui l'avoient examinée. D'ailleurs, vous ne m'avez jamais vû retourner en arriere, ce qui devoit suffire pour ajouter au moins une demie croyance à ma proposition afin de vous engager à l'écouter, sauf a rejetter ce qui seroit vicieux ; mais loin d'en agir ainsi, l'esprit de prévention qui vous seduit, s'eleve contre moi & contre M. Pingré, & vous avez la bonne complaisance d'aller jusqu'à la punition, en me faisant rayer de la liste des correspondants, sans scavoir auparavant si j'ai tort, ou si j'ai raison, & si je l'ai mérité. Prenez pour certain, Monsieur, que je ne suis nullement persuadé, que cette distraction puisse porter atteinte à mes droits, & à ma liberté, je me crois au contraire, en droit de réclamer légalement en vertu de mon brevet, si quelque circonstance y donne lieu, car aux yeux de la loi & aux miens, il est encore dans son integrité.

Chacun pouvoit autrefois, essayer librement ses forces, pour faire admirer son adresse & son génie : on pouvoit alors, esperer de la gloire de ses travaux. Cet heureux tems n'est plus, en marchant de même on ne court qu'à l'ignominie. Si Newton, Viette, Leibnitz &c... reparoissoient aujourd'hui, on les logeroit aux petites maisons.

Quoique je sente vivement le coup que vous m'avez porté, je n'ai point cessé, & je ne cesserai jamais d'avoir pour votre personne, les égards & la consideration que vous meritez, mais l'interêt de ma gloire me sollicite à repousser les atteintes in-considerées qui peuvent flétrir ma réputation : je prend pour armes, la raison, c'est à son poid, qu'il faut réglernos prétentions respectives en presence du public, le destin me forcant de renoncer à des juges dont le suffrage n'est pas libre.

Je devrois commencer à détailler l'utilité de la quadrature, mais vous scavez, Monsieur, qu'etant une fois déterminée, on peut bâtir sur les courbes, une géomètrie toute nouvelle, beaucoup plus féconde & plus étendüe, que celle qu'on trouve dans Euclide sur les lignes droites, & en faire sortir une infinité de vérités utiles in-connües jusqu'ici. Il est clair que le sistème de la nature affecte specialement les courbeures dans tous les genres, soit dans la configuration des animaux qui vivent dans l'eau, dans l'air, ou sur la terre, soit dans celle de végétaux &c… & que jusqu'à leur mouvement, tout y est subordonné : au lieu qu'on ne voit aucun de ces corps, qui affecte purement et simplement la figure rectiligne, ni aucune de celles qui en sont génerées ; d'où je conclus, que la gémètrie dont nous faisons parade, est plutôt l'ouvrage des hommes, que celui de la nature, & on ne doit la regarder, que comme un instrument propre à diriger sa raison, ainsi le passage des droites aux courbes, est une découverte incidente de la plus grande consideration, qui ouvre un vaste champ, aux connoissances humaines.

Venons maintenant à ce qui me touche particulierement ; pour montrer vos torts, & vos erreurs. Vous convenez par votre lettre, que vous ne connoissez point de demonstration rigoureuse de l'impossibilité de la quadrature définie du cercle, & cependant vous agissez en sens contraire, en vous rangeant du parti de l'impossibilité, & par là, vous vous mettez en contradiction avec vous même, car l'impossibilité n'etant pas demontrée, vous n'avez aucune raison affirmative, qui puisse la faire passer pour telle ; ainsi en bonne logique, la quadrature doit rester dans l'ordre des choses possibles, jusqu'à ce qu'on ait pû démontrer rigoureusement son impossibilité. Ce seroit en vain de vouloir appeller à son secours, la prétendue demonstration de Grégori, chacun sait qu'elle est chimerique & in-sufisante, vous en convenez tacitement par votre lettre : celle de Newton pour l'in-définie n'est pas plus concluante. Je demande donc, sur quoi est fondée cette prétendue impossibilité, qui a élevé un rempart in-vincible, un préjugé terrible contre cette decouverte ? Est-ce par ce qu'elle a resisté à l'effort des plus grands génies ? Cette raison est à mon sens insufisante pour en affirmer l'impossibilité ; car ce que l'un n'a pû faire, peut tomber au pouvoir de l'autre, sans aucun préjudice, n'y ayant point de droit exclusif sur la capacité.

Je fais cette question à tous les hommes sensés dans quelqu'ordre qu'ils soient indistinctemt ; c'est à leur raison & à la Vôtre que j'en appelle. Il est certain que Descartes et Newton n'ont pû quarrer le cercle, & que personne n'a pû le quarrer. Il est encore certain, que personne n'a montré d'une maniere suffisante l'impossibilité de le faire, je m'en rapporte à vous même, & votre lettre s'en explique suffisamment : je demande dont, si delà, on peut raisonnablement conclure, que la quadrature soit impossible, & parce que ces grands hommes, n'ont pû en venir à bout, s'il est bien décidé, qu'il soit impossibleà la posterité humaine de les surpasser. Si on repond affirmativement : je demande encore, où sont les preuves de cette exclusion, & si ces grands hommes pour être lumineux, attaignoient au terme qui doit combler la mesure de l'esprit humain. Repondez ?

Les choses dans cet état, la quadrature, n'est donc démontrée ni possible, ni im-possible ; ainsi elle demeure de droit dans l'ordre des choses possibles, quoi quelle soit dificile : je demande donc, pour quelle raison on qualifie de fols, d'extravagants & d'ignorants, tous ceux qui cherchent à applanir ses dificultés, & pourquoi encore, on les juge tels les yeux fermés sans vouloir les entendre ? La justice demande, que chacun soit jugé avec connoissance de cause soit à charge ou à décharge : Pourquoi ne le fait-on pas ? pourquoi en pareille circonstance, renvoye ton les mémoires des quadrateurs à un seul commissaire par distinction, il est nommé le commissaire des enfants perdus, pendant que pour un cuir à rasoir Le S. Coué a fait approuver ses cuirs à rasoirs, sur le rapport de Mrs. le marquis de Courtivron & Mignot de Montigny, suivant le certificat que j'ai vû, on en nomme deux ? Est-il dont plus dificile de juger le dernier que les autres ? non. Certainement chacun sent quil ne faut que des yeux, & des sensations grossieres & communes pour l'un, & qu'au contraire il faut pour l'autre, de la Science et de l'intelligence.

Or ma prétention consiste à démontrer d'une maniere précise & in-contestable, que non seulement la quadrature n'est pas impossible, mais encore d'en demontrer la possibilité par un raisonnement très clair, très physique, & très certain ; de réaliser toutes ces choses par le fait, & enfin de la déterminer, en montrant tous mes pas, & les éclairant de la plus vive lumière. Je m'acheminai donc en 1770 pour le faire, M. Pingré examine ma marche, il conclu en ma faveur : & vous, de votre authorité privée, vous imposez silence à la justice sous un faux prétexte, vous me terrassez sans droit & sans raison, en vous opposant à un jugement légal, pour avoir sans doute le plaisir, de vous mettre en contradiction avec vous même, afin de conserver une chimère. Je veux dissiper le nuage qui vous enveloppe, je me livre à vous avec confiance, & vous ne voulez ni m'ecouter, ni m'entendre ; cependant vous me jugez les yeux fermés, sans scavoir si j'ai tort, ou si j'ai raison : la prévention se déchaine contre moi, & s'attache a des qualifications ignominieuses, le préjugé s'empare des esprits, & va s'accrocher jusqu'à M. Pingré, parce qu'il a fait usage de sa raison en ma faveur, & par une suitte de ce déportement, on se croit en droit de me dégrader. Ce procedé est in-juste, tirannique & barbare : Pourra-ton croire, qu'un des premiers génies de la France, un D'alembert l'homme le plus éclairé, ait pû de gayeté de cœur, abandonner sa raison pour faire une in-justice, en s'attachant à une oppinion mal fondée, à une chimère, dementie par ses propres faits. Autrefois, on examinoit la proposition pour décider avec connoissance de cause, apparemment que cet ordre est renversé, & que la nature a changé de forme.

Jusqu'ici la philosophie a voulu deviner le secret de la nature, faut-il aujourd'hui, quelle soit soumise à la prévention : prétendez-vous la faire plier sous vos choix ? Non. Fussiez-vous Prince, fussiez-vous Roy, je respecterois votre personne, & votre puissance, mais du côté de mon droit naturel je ne cederois pas. Souvenez-vous, que la justice & la vérité, sont les attributs de la divinité.

Un philosophe que la raison conduit, n'est point in-consideré : tous ses mouvements sont réglés par la lumière qui l'environne, il met sa gloire dans ses propres vertus, son ambition n'a rien de contraire à l'amour de la justice & de la verité ; vous, au contraire, fermant les yeux, & n'aspirant qu'à un pouvoir suprême, vous renversez jusqu'à l'ouvrage des dieux. Vous n'ignorez pas, que la main bienfaisante qui me placa à l'academie, étoit une divinité du Sang Royal de France : (Made la duchesse Dorleans) elle s'y porta de son propre mouvement sur les preuves authentiques de capacité avouées de l'academie : aujourd'hui sans consideration pour la mémoire d'une illustre princesse, ni pour moi, ni pour la vérité, vous faites main basse sur tout, tel qu'un faucheur armé de sa faux, qui couppe im-pitoyablement tout ce qui se trouve sous sa main, & ne reserve que les herbes chéries, qu'il lui plait de conserver.

Quand un objet nous flate, le desir de la proprieté est ce qui nous occupe ; la vue ne porte qu'a la possession. Conduits par la crainte a pas précipités, on devient in-considerés & on tombe malgré soi en contradiction, parce que la raison nous abandonne.

Au reste, Monsieur, quel inconvenient y avoit-il, de laisser libre cours, au jugement de M.  Pingré, ce jugement n'étoit que conditionnel, & me mettoit dans la nécessité de remplir ma promesse, c'étoit donc à moi seul à y satisfaire, & après m'être montré & dévoilé, on auroit connu, si ma proposition étoit valide, & si je méritois d'être couvert de gloire ou d'ignominie ; mais me condamner sans m'entendre, me juger sans scavoir surquoi, est un acte d'injustice le plus violent, qui ne s'accorde point avec la marche géomètrique d'un mathématicien. Au surplus, quel avantage pouvois-je tirer de l'enregistrement de l'acade. ? A quoi pouvoit-il me servir en supposant qu'il y eut des erreurs dans mon procedé ? C'est encore une in-consequence, qui se manifeste d'elle même, car ne remplissant pas mon obligation, je ne pouvois rien attendre de ce jugement, par le principe qui dit : cessant la cause, cesse l'effet.

Toutes ces choses marquent visiblement, Monsieur, quil y a un motif secret, qui combat sourdement la quadrature sous le spécieux prétexte d'impossibilité. Pourquoi les chicannes, & les puerilités de M. Jeaurat ? Pourquoi n'a-t-il pas fait son rapport comme il le devoit ? Pourquoi blâme-ton M. Pingré d'avoir fait usage de sa raison en ma faveur ? Pourquoi suis-je un fol, un ignorant, pendant que j'ai donné cent preuves du contraire ? Ce sont-là des questions qui se presentent beaucoup à l'immagination. Mais on peut expliquer ces contrarietés par un seul & même moyen : je suis fol de vouloir insister à montrer une chose qu'on ne veut pas voir ; & ignorant du motif pour lequel on s'y refuse. Voila l'Enigme : si ce n'est pas cela, pourquoi enchainer la liberté des suffrages, agir en despote, & raisonner en maître, sur une chose dont vous n'avez nulle connoissance ? Comment savez-vous, que je suis dans l'erreur ? Qui vous l'a dit ? personne ne le scait, vous l'ignorez comme tout le monde, & cependant vous me condamnez sans m'entendre, sans égards pour moi, ni pour le droit des gens, ni pour la justice.

Avez-vous fondé une Victoire, sur cet esprit paisible & tranquile qui règne dans ma personne, & que vous connoissez ? Seroit-ce sur mon in-capacité ? quel qu'en soit le motif, vous developpez aux yeux de la raison, une in-consequence pour me faire in-justice, & vous vous servez de votre superiorité pour m'accabler. Si la raison n'est pas de mon coté, tous l'avantage est du vôtre : reputation, oppinion, science, intelligence, &c… & mille bouches diverses attachées à votre char par les liens de la nécessité, qui font l'Echo en votre faveur, tout est contre moi, au lieu que je suis seul contre tous, & personne ne traine l'illusion sur mes pas. Je ne puis lever les yeux, quand je parle vérité : vous, vous imposez silence, où la justice doit règner.

N'avez-vous pas à craindre que la posterité n'ait à vous reprocher, que loin d'ameliorer les connoissances humaines, vous ne cherchez qu'à les envelopper & les abbattre sous le poid des préjugés, de la même maniere qu'un laboureur qui s'appliqueroit uniquement a déraciner les productions de la terre a mesure quil les verroit éclore, & qui se feroit gloire de son titre de cultivateur.

Je demande d'etre entendu, pour exposer une vérité & pour la montrer, on me repousse avec in-dignité, on me qualifie, on me poursuit : Est-ce donc là, le sistême de la nature ? Est-ce sur des préjugés qu'il faut desormais asseoir les vérités immuables, les vérités éternelles, que l'être suprême a attachées à l'existence de chaque corps. Je veux bien vous accorder la préeminence, vous la meritez ; mais j'ai mes droits, comme vous avez les vôtres, & je ne dois point me laisser abbattre sous le poid de la tirannie : une proposition dans ma bouche, doit être aussi certaine, & aussi sacrée que dans la vôtre, elle mérite d'être examinée avec cet esprit de liberté qui mene à la justice. Au surplus, Monsieur, chacun est le premier juge de ses productions, il doit être cru sur sa parole jusqu'à conviction, & nul n'a droit de le juger sans l'entendre.

Ne croyez pas, Monsieur, que ce soit l'interêt qui me détermine, je prise moins la fortune que la gloire, & jamais ce motif, n'a servi de guide aux sentiments de mon cœur. D'ailleurs, je vous préviens, que jamais l'illusion ne ma seduit. Je vais lentement, il est vrai, mais je marche ferme, & je marche bien : je ne crains ni la peine, ni le travail, aucune dificulté ne me rebutte : dès l'instant que j'annonce, je suis sûr du succès, car la lumiere qui me conduit n'est point équivoque, je n'ai besoin que de moi même pour le certifier, & j'ose assurer qu'on ne me verra jamais retourner sur mes pas ; aussi ne m'a ton jamais vû ramper à la suitte des autres, ni m'asservir à la façon de faire & penser d'autrui : je ne suis point une machine, à laquelle on imprime un mouvement arbitraire. C'est sans doute à cet esprit de liberté que je dois mon succès, les oppinions n'ont rien de sacré pour moi, tout ce qui porte ce caractère me paroît vicieux ; ainsi, le hazard n'entre pour rien dans ma decouverte, mais j'ai plus d'un moyen pour distinguer le vrai d'avec l'oppinion. Il est donc certain ; que j'ai vû les mêmes dificultés qui ont arrettés les anciens, & que les routes quils ont frayées sont impossibles ; mais grace à la divinité qui règle mon intelligence, j'ai dirigé ma marche géométrique-analytique, directement à l'objet que j'ai voulu poursuivre, je l'ai enchainai & asservi au joug du raisonnement en le faisant céder par l'endroit où il me plait de l'attaquer : tel qu'un corps qui resiste, au feu le plus violent, mais qui cède sans peine au plus léger acide pour tomber en dissolution. Il ne reste donc qu'à montrer si je le fais éffectivement, car je ne prétend pas qu'on m'en croye sur ma parole ; néanmoins je puis assurer en qualité de premier juge, que je le fais in-contestablement, je m'en rapporterois volontiers à vous, & à vos lumières pour le decider.

Au reste, Monsieur, quand je mesure vos procedés aux belles qualités qui sont en vous, & à l'estime que j'ai pour votre personne, je ne puis me persuader que ce soit là votre ouvrage : j'ai l'indulgence de croire qu'un être malfaisant ennemi de votre repos & du mien, un esprit jaloux, une âme servile & rampante vous aura seduit ; mais c'est toujours une in-consequence de s'en rapporter à autrui, un homme juste, un homme attentif, un philosophe surtout, doit être en garde contre la seduction.

Ne croyez pas, Monsieur, que le silence de trois années, ait rien changé à ma prétention, j'en étois certain alors, & encore plus assuré aujourd'hui : on ne pourroit tout au plus me reprocher qu'une erreur légere de calcul que j'ai reparée, & non de raisonnement, qui n'influe en rien sur l'intégrité de ma decouverte. Je pretend donc quarrer le cercle en termes généraux, & dans toute la rigueur géomètrique de vingt manieres differentes & d'avantage s'il le faut, en mettant le rayon et la circonference du même cercle en équation, sans qu'elle puisse se détruire, & d'y introduire une grandeur assignable à volonté : par tous ces chemins, j'arrive in-contestablement à déterminer la longueur précise de la circonference, ou ce qui revient au même, sa relation avec le rayon. Je prétend encore par une formule générale, donner la solution du même problême, de maniere que sur chaque point de la circonference qu'on voudra choisir, on peut asseoir l'Equation. Je prétend encore, par une formule générale, déterminer la position du centre de gravité de la surface d'un secteur circulaire quelconque, en parties communes du rayon et de la circonference du même cercle. J'ajoute à toutes ces prétentions, celle de vous forcer malgré vous, à les reconnoître, en vous faisant plier comme bien d'autres, sous le joug de la raison.

De même, je soutiens que la resolution géomètrique du problême des longitudes, qui fait le vœu de toutes les nations, est possible, & qu'on peut les obtenir, de maniere que les observations à indiquer, faites sur le vaisseau au lieu d'arrivée, partout où on voudra le supposer, seront les quantités données du problème qui serviront à la déterminer. Je soutiens encore, & je puis démontrer, quil est impossible d'arriver au même but, par aucune horloge, quelque perfection qu'on lui suppose d'ailleurs, fut-elle dans un lieu fixe aussi exacte que le soleil. Si je ne remplit pas toutes ces impossibilités dans toute la rigueur géomètrique, alors il sera tems de me loger aux petites maisons, & je declare, que ceux qui me logeront d'avances ont plus de droit d'y pretendre que moi. Souvenez-vous, Monsieur, que lorsque les écrits du grand Newton parurent en France, d'abord on lui décerna l'honneur des petites maisons, par ce que on ne les entendoit pas ; a force de les lire, on les entendit, & d'un immaginaire, on en fit un grand homme. N'allez pas croire que je prédente m'égaler à ce puissant génie, c'est à l'avenement à conduire ma destinée ; ainsi Monsieur, comme je vais faire imprimer les principes & theorêmes qui servent de fondement à la résolution de la quadrature, je vous invite & vous prie de les censurer publiquement & de relever hautement toutes les erreurs, & les in-consequences que vous pourrez remarquer, faites moi scrupuleusement la guerre. Je le regrette, mes armes sont la raison ; ainsi ma force est dans ma tête, ma deffense dans ma main, je me batterai seul contre tous sans les secours de personne : je ne demande que de la justice & de la bonne foi. En toutes occasions je serai enchanté de vous témoigner les sentiments d'estime & de consideration, avec lesquels j'ai l'honneur d'être

Monsieur

Votre très humble & très obéissant serviteur.

Le Rohbergherr de Vausenville