Manuscrit autographe (vu à la vente Aguttes, lot 285-1, le 13 mai 2014, transcrit par Irène Passeron et Françoise Launay)

LETTRE 78.29a   |   0
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Folio :

Je suis très reconnoissant, Monsieur, et de l'ouvrage que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer, et de l'obligeante lettre que vous y avez jointe ; je voudrois seulement être plus digne de la confiance dont vous m'honorez en me demandant ce que je pense de vos trois drames. Comme je n'attache aucun prix à mon avis, & que je vous conseille même d'en faire autant, je vous ferai part avec franchise du resultat de ma lecture. Je pense donc avec verité que votre ouvrage est aussi utile par son objet qu'interessant par l'execution, & vous avez très grande raison de dire, que dans l'education des enfans on feroit très bien de substituer cet exercice à la lecture des Romans & des Contes de Fées. Je crois comme vous que le second drame est inferieur aux deux autres, & j'y ai d'autant plus de regret, que l'objet très important de ce drame est peut être trop négligé, meme dans les bonnes éducations. Le 1er. drame me paroit aussi le mieux fait des trois ; je voudrois seulement que le langage des Paysans, & même quelquefois celui des enfans, fut encore plus simple, pour donner au dialogue encore plus de verité, & par là peut être plus d'interêt. Le 3e. drame, quoique moins moral par son objet que les deux premiers, me paroit en même temps devoir produire un spectacle plus animé & plus agréable ; & plusieurs détails m'en ont paru interessans, entr'autres la scene VIe. et surtout dans cette scene l'endroit du sommeil du Pere. Je ne scai (mais ceci est une bagatelle) pourquoi dans vos vers vous faites Paysan de deux syllabes ; il me semble qu'il est de trois, & qu'on doit prononcer péisan, comme pays se prononce péis.

Voilà, ce me semble, Monsieur, tout ce que la critique la plus malevole peut dire contre votre ouvrage, au moins si elle veut bien ne pas perdre de vue l'intention dans laquelle il est composé.

Recevez, je vous prie, de nouveau mes très humbles remercimens & l'assurance des sentimens respectueux avec lesquels j'ai l'honneur d'être,

Monsieur

Votre très humble et
très obeissant serviteur
D'alembert

à Paris ce 20 mai
1778

A Monsieur
Monsieur de Saint Marc,
officier au Regiment des
Gardes françoisesRue Basse porte St. Denis