Manuscrit autographe (Genève, collection J.-D. Candaux)
D'Alembert (Paris) à Rochefort d'Ally Jacques (Marvejols)
À Paris ce 5 juillet
Je vous felicite, mon cher ami, quelque affligé que j'en sois pour moi même, d'être enfin paisiblement dans votre niche et auprès de vos dieux Penates. Il vous reste dans votre malheur des objets d'interet, & de l'interêt le plus tendre. Occupez vous de ces objets, & songez qu'à cet égard je suis plus à plaindre que vous.
Je n'ai point été à Berlin, quoique j'aie reçu encore du patron de la case une nouvelle invitation. Quoique ce voyage pût être de quelque utilité relativement aux lettres, je me suis taté, je me suis trouvé trop vieux et trop foible pour faire 300 lieues, dont 150 de mauvais chemins & de mauvais gîtes, ignorant la langue et connoissant bien peu le pays. Si je trouvois l'année prochaine une manière commode de faire ce voyage penible, peut être l'entreprendrois-je ; mais il y a loin d'ici au Printemps de 1780.
Quelque sujet de mécontentement que vous ayez du beau pere, songez qu'il est de votre interêt de le menager, au moins pour l'enfant qui vous reste. Donnez à l'éducation de cet enfant tous vos soins ; je crains que ce ne soit pas chose aisée.
Nous attendons le Poëme de Roucher sur les 12 mois ; en attendant nous avons le Poëme de le mierre sur les fastes, non pas Romains, mais Parisiens, qui ne valent pas les premiers. Ce Pauvre le mierre ne manque ni d'esprit, ni même d'imagination ; il ne lui manque pour être Poëte que deux petites choses, le goût et l'oreille.
Adieu, mon cher ami, portez vous bien, occupez vous, du moins pour vous distraire, et aimez moi comme je vous aime.
A Monsieur
Monsieur le Comte de Rochefort, commandant pour le Roi en Gevaudan
A Maruejols en Gevaudan