Manuscrit autographe (Genève, collection J.-D. Candaux)

LETTRE 81.43   |   3 août 1781
D'Alembert (Paris) à Rochefort d'Ally Jacques (Marvejols)

Folio :

À Paris ce 3 août 1781

Mon cher ami, je recois toujours avec grand plaisir et avec encore plus d'interêt des nouvelles de votre santé, soit par Mlle. Quinault, soit par vous même. J'attends avec impatience le paquet que vous m'annoncez, et je le remettrai aux éditeurs de Voltaire, après l'avoir lu, car d'un tel homme, tout est bon à lire. Je suis aussi très curieux de la correspondance de Moncrif. À l'égard de l'exemplaire dont vous me parlez, cette proposition me paroît délicate, et je ne puis rien vous répondre là dessus ; je verrai, mais en temps et lieu, ce qu'il sera possible de faire, sans neanmoins esperer beaucoup à cet égard. Je doute qu'on voulût donner un exemplaire de l'edition à tous ceux qui procurent des lettres. A commencer par moi, je n'en ai pas demandé, quoique je leur en aie fourni bon nombre, soit par moi, soit par d'autres.

Je pense comme vous sur l'ouvrage de l'abbé Raynal&nsbp;; je voudrois pourtant qu'il eut supprimé quelques declamations, et qu'il n'eût pas gâté quelques endroits en voulant les ameliorer. Mais il a fait une grande sottise de mettre son nom à ce livre, dont personne n'ignoroit qu'il fût l'auteur. Il a diné en tiers à Spa, où il est, avec l'Empereur & le Prince Henri de Prusse, & l'Empereur lui a offert asile et protection dans tous les Etats, à Vienne même, si cela lui convenoit, & à Bruxelles s'il vouloit être plus près de ses amis. Ce fait est certain. Vous devez avoir appris par les Gazettes que ce Prince, en traitant très bien les juifs (quoiqu'ils aient crucifié Notre Seigneur) n'en fait pas autant au Pape, aux Pretres & surtout aux Moines. Le Roi de Prusse me mande au sujet de ces derniers, que l'Empereur n'aime pas les parjures, & qu'il veut reduire cette canaille à garder le vœu de pauvreté qu'elle a fait.

La lettre dont vous me parlez n'est point de l'Ambassadeur de Naples. C'est une lettre factice, et une méchanceté qu'on a voulu faire à lui et à moi. Aussi en est il très mécontent ; et pour moi, accoutumé à toutes ces vilenies, je ne fais qu'en rire de pitié.

La planete qu'on voit le soir au levant, est Mars, qui est actuellement dans sa plus petite distance de la terre. C'est pour cela qu'on le voit plus beau qu'à l'ordinaire.

Je suis charmé que vous commenciez à faire travailler [...] Il est temps qu'il s'instruise, et il est à bonne école pour ce[la]. Embrassez le bien pour moi, puisqu'il se souvient encore de ma chetive personne. Adieu, mon cher ami, recevez l'assurance de tous les sentimens d'estime, d'attachement, et de respect que je vous ai voue in œternum. Tuus ex animo D'alembert

A Monsieur
Monsieur le Comte de Rochefort, commandant pour le Roi,
À Marvéjols en Gevaudan