Sélection de lettres
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    [Imprimé 1756] (affichée) | |||||
Revue des feuilles de Mr Fréron [...] Lettres à Madame de ***, Londres, 1756, p. 394-398
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Tressan (Commercy) à D'Alembert (Paris)
p. 394Je vais, Monsieur, jouir des droits d'une confraternité qui m'honore autant qu'elle m'est chere : ce lien souvent trop peu respecté, doit l'être du moins par ceux qui connoissent le prix de l'amitié & de l'honneur. J'ose vous demander, mon illustre Confrere de me rendre un service essentiel : la démarche que je fais doit vous prouver ma candeur, & quels sont les sentiments qui me dictent cette Lettre.
Un ami sûr m'a averti que quelques personnes du premier ordre, & dont je ne lis jamais les ouvrages sans les admirer, & sans m'instruire, me soupçonnoient d'être l'ami de cœur & le protecteur ardent de M. Freron.
Je n'avois jamais été en liaison avec M. Freron avant un voyage que je fis à Paris en 1752........
p. 395Je le vis quelquefois dans la societé de Me G. : il venoit de perdre ses Feuilles par son extravagante sortie sur Milord Bolinbrock. Me G. me pressoit de solliciter le Roi de Pologne de parler en faveur de F. J'eus la foiblesse de le faire ; les Feuilles furent rendues, & Freron publia, déclama une reconnoissance pour moi, sentiment trop étranger à son cœur pour qu'il fût sincere.
Depuis ce tems, il est venu en Lorraine, & le Roi de Pologne qui s'attache aisément par des premiers bienfaits, le fit recevoir de la Société de Nancy.
Madame de Boufflers douée d'un esprit superieur, & celle dont nous aimons à prendre le ton dans notre petite Cour de Lorraine, daigna s'appercevoir des soins que F. prenoit de chercher à lui plaire ; elle le mit bien dans l'esprit du Roi ; elle lui communiqua plusieurs petits ouvrages que j'avois faits. Freron les emporta, & dès qu'il fut arrivé à Paris, il les insera dans ses Feuilles.
Je vous dirai plus, mon cher & p. 396 illustre Confrere, nous esperames que F. respecteroit assez la protection du Roi de Pologne pour ne la pas compromettre, & nous ne craignimes pas assez le fonds d'un caractere trop décidé à l'envie et à la basse critique pour le corriger. Depuis ce tems j'ai vû avec la plus vive douleur l'abus qu'il fait de ses Feuilles. Madame de Boufflers & moi avons été tentés vingt fois de prier le Roi de Pologne de lui retirer toute protection. Nous n'avons pas assez pensé comme M. d'Argenson, qui dit à l'Abbé Desfontaines : « Qu'importe que vous viviez » nous avons voulu laisser le pain à F. & nous nous sommes contentés de le désavouer, & de blâmer hautement ses feuilles. Je ne sçai si c'est pour s'en venger ; mais en dernier lieu F. a donné aux Comédiens une mauvaise Piéce intitulée le Souper, & par de fausses confidences a donné à entendre, & à bien établi que cette Piéce étoit de moi ; mes amis m'en ayant averti, j'ai écrit une Lettre à l'Abbé Raynal que vous verrez inp. 397serée dans le Mercure de ce mois, & j'ai fait dire à F. que de ma vie je ne voulois avoir aucun commerce avec lui.
M. de Maupertuis & M. de la Condamine sont venus passer huit jours avec moi à Toul, & je les ai menés avec moi à la Cour du Roi de Pologne qui les a comblés d'honneur & de caresses. Notre ami Maupertuis m'a dit quelle est la juste indignation des gens que je respecte, aime & admire, contre F. & que vous étiez déterminés à renvoyer le diplôme de l'Académie de Berlin, s'il avoit la facilité d'y faire recevoir F. Jugez, mon cher illustre confrere, si j'ai pû balancer un instant entre un poliçon qui n'a d'existence que par sa méchanceté, & les plus beaux génies de l'Europe. En vérité je ne mérite pas d'en être soupçonné : ceux qui me connoissent à fonds ne m'ont jamais trouvé l'esprit faux ni le c&oe lig;ur pervers, & M. de la Condamine dont vous connoissez la candeur, & auquel je communique dans l'instant cette Lettre, peut vous répondre p. 398 que j'ai en moi de quoi haïr & mépriser F. & un peu de ce qui est nécessaire pour connoître & adorer les d'A. & les D. les B. Je vous supplie de communiquer ma Lettre à votre illustre ami, au cher Duclos & à S. Lambert ; ils me connoissent trop pour ne pas répondre de moi.
Pardonnez-moi cette longue lettre, mon cœur me pressoit de m'expliquer avec vous, & je me regarderois comme deshonoré dans l'esprit de ceux dont je désire le plus l'amitié, si je differois un instant à vous faire part du sentiment dont je suis pénétré. J'ai l'honneur d'être avec tout l'attachement possible, Monsieur & illustre Confrere,
Votre très-humble & très-obéissant serviteur,
De Tressan
A Commerci ce 21 Juillet 1754.