Sélection de lettres
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    [Manuscrit autographe] (affichée) | |||||
Saint-Pétersbourg AAN, 136/op2/2, f. 216-217
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    [Imprimé 1980] | |||||
Leonhard Euler, Opera Omnia, série IV A, vol. 5, p. 256-259
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D'Alembert (Paris) à Euler Leonhard (Berlin)
f. 216rMonsieur
Je suis très reconnoissant de la peine que vous avés bien voulu prendre d'examiner mon differend avec M. Bernoully sur la pression negative, et je suis très flatté du jugement que vous aves bien voulu porter, et que je regarde comme entierement en ma faveur : je vous prieray seulement d'observer 1°. que je n'ay jamais pretendu nier les experiences de M. Bernoully, mais que je n'en ay point parlé parce que j'ay cru comme vous que c'est à une circonstance etrangere qu'on doit attribuer l'effet de la suction.2°. que je n'ay point eu la moindre idée de l'attribuer à l'adherance des parties, qui n'etant qu'une force passive ne peut avoir aucun effet que de resister, j'ay dit seulement à la pag. 126 que le fluide cessera d'etre continu, au moins si on fait abstraction de l'adherence des parties, parce qu'en effet l'adherence des parties pourroit etre telle qu'elle empechât le fluide de se separer, comme je le fais voir & le discute plus au long de la page 139. Mais je n'ay jamais voulu dire que cette adherence put produire la suction. 3°. Si vous voulés, Monsieur vous donner la peine de voir à la page 264 de l'hydrodyn. de M. Bernoully vous y trouverés ces paroles : pressio in suctionem mutatur, h. e. latera canalis introrsum premuntur. J'avoüe que je n'ay jamais pu et ne peux encore comprendre ces dernieres paroles, introrsum premuntur, et c'est principalement cela que j'ay attaqué, et dont je ne puis convenir. 4°. J'ay fait abstraction dans toute ma theorie de la pression de l'athmosphere, & il me paroit que M. Bernoully en a fait aussy abstraction. A l'egard de la maniére dont vous l'y faites entrer en l'ajoutant à la pression \(p\), permettés moy de vous dire que je ne vois pas clairement qu'on doive prendre \(h+p\) pour la pression d'une tranche. L'action de l'athmosphere sur un fluide qui coule hors d'un vase me paroit tres difficile à determiner. Cependant je ne pretends pas decider qu'elle ne soit telle que vous le dites, mais j'ay besoin pour m'en assurer d'une demonstration plus rigoureuse. D'ailleurs il f. 216v me semble que sans avoir egard à la pression de l'athmosphere sur le fluide qui coule hors du vase, on peut expliquer l'experience dont vous me parlés. Car lorsque la pression en \(P\) est negative, le fluide selon ma theorie tend à se partager en \(P\), & par consequent il se fait en cet endroit un vuide, qui est rempli aussitôt par l'air du tuyau \(QP\), et cet air n'ayant plus alors la force de contrebalancer la pression de l'athmosphere sur l'eau qui est en \(Q\), cette eau monte par le tuyau \(QP\). Voila l'explication que je donnerois de cette experience, au moins telle que je l'ay comprise.
Je suis bien aise que vous ayés lu avec quelque satisfaction mes recherches sur le calcul integral. Le suffrage d'un homme tel que vous, Monsieur, est le prix le plus flatteur que je puisse esperer de mes travaux. Je verray avec plaisir votre demonstration sur les facteurs trinomes réels. À l'egard de la mienne, je vous prie de vouloir bien remarquer que si j'y employe les suites, c'est d'une maniére qui ne peut être sujette à aucune chicane, du moins à ce qu'il me semble, & puisque vous avoués qu'elle vous satisfait pleinement, je ne crains pas que d'autres luy reprochent de n'etre pas rigoureuse. J'envoyeray bientôt à l'academie la suite de ces Recherches, dans lesquelles j'espere que vous pourres trouver quelques methodes d'intégration assés utiles. À l'egard du \(\textrm{Log.} -x\), tout ce que vous me dites m'ebranle fort sur cet article ; je n'avois pas fait toutes les reflexions que vous me faites faire la dessus, & comme je veux, si c'est possible, ne rien avancer que de bien certain, je vous prie de vouloir bien rayer de mon memoire l'endroit où j'en parle, supposé que ce memoire ne soit pas encore imprimé. Cependant quoyque vos raisons soient tres fortes & tres scavantes, je vous avoüe, Monsieur, que je ne suis pas encore pleinement convaincu. Car 1°. l'Equation à la parabole \(2y dx = x dy\) ou \(\frac{dy}{y} = \frac{dx}{2x}\) prouve qu'en faisant \(x\) negative, \(\frac{dy}{y}\) est réel, comme il l'est en effet, mais elle ne prouve pas que \(dy\), ny \(y\) soient réels. Vous me dirés peut etre que \(\int\frac{dy}{y}\) ou \(L y\), en faisant \(x\) negative, n'est pas reel, parce qu'il est f. 217r \(\textrm{Log.}\surd{-x}\). Mais je ne vois pas encore parfaitement qu'une quantité imaginaire ne puisse avoir un logarithme réel. Car en general le log. de \(m\surd{x}\) est le même que celuy de \(\sqrt{x}\). 2°. imaginés une hyperbole \(PIM\), \(CED\), entre ses asymptotes, dont l'Equation en faisant \(AH = 1\), et \(AG = - 1\), soit \(y' = \frac{1}{x}\) ; \(AL\) etant \(= x\) & \(LM = y'\) ; decrivons a present la logarithmique \(FHNK\), dont les ordonnées \(LN\) ou \(y=\int{\frac{dx}{x}}\) ; c'est a dire soient egales aux espaces hyperboliques \(HILM\) ; si on veut savoir l'ordonnée \(om\) qui repondra à une abscisse \(Ao\) positive & plus petite que l'unité, on trouvera que cette ordonnée \(om\) etant proportionnelle à l'aire negative \(Hino\), doit etre negative, comme elle est en effet, & si on fait \(x\) negative par exemple egale à \(AV\), on trouvera que l'ordonnée correspondante de la logarit[h]mique est reelle, etant egale à l'aire \(-HIDO\) \(+\) l'aire \(AFVD\). Ce qui confirme cette valeur réelle de l'ordonnée en prenant \(x\) negative, c'est que si on avoit une courbe dont l'equation fut \(dy = \frac{dx}{x^3}\) c.à.d. dont les ordonnees \(y\) fussent egales aux aires \(\int{\frac{dx}{x^3}}\) & dont l'ordonnee \(y\) fut \(= 0\) en prenant \(x = 1\), on pourroit faire les memes raisonnemens sur cette courbe que je viens de faire sur la logarithmique, et on trouveroit par ces memes raisonnemens qu'à une \(x\) negative repondroit une \(y\) réelle, comme elle y repond en effet. Car l'integration donne \(y=-\frac{1}{2x^2}+\frac{1}{2}\). 3°. Je ne vois point d'inconvenient à suppos[er] deux progressions geometriques, dont \(0\) soit le terme commun, dans l'une des quelles les termes soient positifs, et dans l'autre negatifs, et de supposer qu'a ces deux progressions il en reponde une arithmetique. Il est vray que les deux progressions Geometriques ne formeront pas la même progression ; et peut etre pourroit on apporter cette raison pour faire \(L-1\) imaginaire en disant que \(-1\) n'etant point dans la progression Geometrique des nombres positifs il n'a point de logarithme réel, et qu'on ne sauroit supposer deux progressions Geometriques qui ayent zero pour terme commun. À cela je repondrois que de ce que \(-1\) n'est pas dans la progression des positifs, il ne s'ensuit pas qu'il ne puisse se trouver dans un[e] autre progression de nombres, dont les logarithmes pourront etre réels, que le logarithme de \(0\) qui appartient egalement f. 217v aux deux progressions, est infini, & que je ne vois pas de raison pourquoy ce logarithme deviendroit réel dans la progression des positifs, & imaginaire dans la progression des negatifs. Quant à ce que les deux progressions ne scauroient avoir \(0\) pour terme commun ; si on ne pouvoit pas faire cette supposition, on ne trouveroit jamais qu'une partie de la ligne droite dont l'Equation est \(\frac{dy}{y} = \frac{dx}{x}\) ; car on n'auroit jamais que la partie dont les ordonnées sont positives, la ligne droite etant telle que si on prend ses abscisses en progression geometrique, ses ordonnées y sont aussy. À l'egard de la formule des arcs de cercle que vous m'opposés, Monsieur, j'avoue qu'elle donne une valeur imaginaire pour le \(\textrm{log} -1\). Mais je crois comme vous qu'une quantité peut avoir une infinité de logarithmes, et il ne me paroit pas entierement démontré que la formule en question renferme tous les logarithmes possibles. J'attends, monsieur, votre decision sur ces difficultés, et vous prie de me croire avec la plus parfaite consideration
Monsieur Votre tres humble et
tres obeissant serviteur
D'Alembert
Paris ce 29 janv. 1747.
A Monsieur,
Monsieur Euler, membre des academies des sciences de Berlin & de Petersbourg
A Berlin
Mille complimens, je vous en supplie, à M. de Maupertuis. J'envoye à l'academie un nouveau memoire sur la Theorie de la Lune.