Sélection de lettres
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    [Manuscrit autographe] (affichée) | |||||
Saint-Pétersbourg AAN, 136/op2/2, f. 247-249
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    [Imprimé 1980] | |||||
Leonhard Euler, Opera Omnia, série IV A, vol. 5, p. 267-269
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D'Alembert (Paris) à Euler Leonhard (Berlin)
voir n. [1]..
f. 247rMonsieur
J'ay lu avec autant de fruit que de reconnoissance la lettre que vous m'avés fait l'honneur de m'écrire le 15 du mois dernier au sujet des logarithmes des quantités negatives. La necessité de mediter de nouveau cette matière avant que de vous repondre, jointe à differentes occupations m'ont empêché d'avoir l'honneur de vous en remercier plutôt. Je vous avoüe, Monsieur, que vos observations sur mes objections m'ebranlent fort ; je crois même que si c'etoit icy une affaire a decider par des paris, je parierois contre moy pour vous, & j'aurois bien des raisons pour cela. Cependant comme ce n'est point par opiniatreté que j'ay osé combattre votre sentiment, je prendray la liberté de vous proposer quelques reflexions, qui font que je ne vois pas encore bien clairement la verité de ce que vous avancés.
En 1er lieu je vous avois objecté que si \(x=\frac{1}{2},\,e^x\) a deux valeurs, l'une positive l'autre negative. Vous repondés à cela que \(e^x\) marque la valeur de cette serie \(1+x+\frac{x^2}{1\cdot 2} \textrm{etc}\). Par quelle raison voulés vous reduire cette quantité en serie ? Vous savés que la reduction des quantités en suites, exprime souvent leur valeur d'une manière tres fautive, lorsque la série est convergente, & que d'ailleurs les reductions f. 247v expriment fort imparfaitement les differentes valeurs des quantités radicales : mais sans reduire \(e^x\) en suite, ne peut on pas en avoir la valeur ? Il est certain que si on nomme \(a\) l'ordonnée qui repond à \(x = 0\), la valeur de \(e^x\) lorsque \(x=\frac{1}{2}\) ne sera autre chose que la moyenne proportionnelle entre \(e\) et \(a\), c'est a dire \(\sqrt{ea}\), qui me paroit avoir deux valeurs ! D'ailleurs si vous resolvés \(e^x\) en suite, pourquoy ne resoudries vous pas de même en suite \(\textrm{log.} x\) ? Or cela posé, vous trouveries pour \(\textrm{log.} -x\) une valeur réelle ! Prenés bien garde que cette objection ne tombe que sur la reduction en suites que vous prenés pour principe contre moy : car j'avoüe que la reduction de \(\textrm{log.} x\) en suites ne prouve point que \(\textrm{log.} -x\) soit réel ! Vous m'objecterés peut etre, Monsieur, que si il y a des valeurs de \(x\) auxquelles repondent deux valeurs de \(e^x\), il y en a aussy d'autres, comme \(x = 2\), auxquelles il ne repondra qu'une valeur de \(e^x\), qui sera \(\frac{e^{2}}{a}\) ; de sorte que la logarithmique n'auroit des ordonnées negatives que per saltum & par intervalles, ce qui seroit absurde : mais je repondroy à cela, que la valeur de \(e^x\) etant double dans certains cas, même quand on prendroit \(e\) pour un parametre, c'est une marque ce me semble que \(e\) n'est point un parametre veritable, comme le parametre de la parabole, mais seulement l'ordonnée qui repond à \(x = 1\), & que cette ordonnée a deux valeurs, l'une positive l'autre negative, aussi bien que \(a\) ; or cela posé \(\frac{e^{2}}{a}\) aura deux valeurs, & il n'y aura point de valeur de \(x\) à laquelle il ne reponde deux ordonnées egales et de signes contraires. En effet comme j'ay eu l'honneur de vous l'observer, la formule \(e^x\) est proprement \(\frac{e^{\frac{x}{g}}}{a^{\frac{x}{g}-1}}\) ; & supposant que \(e\) soit un parametre comme vous le voulés, on pourra toujours trouver une valeur de \(x\) qui differe de \(g\) de moins qu'une quantité donnée & à laquelle repondront deux valeurs : il suffit pour cela que \(x\) soit a \(g\) comme un nombre impair a un nombre pair & que \(\frac{x}{g}\) ne soit pas un nombre entier. On aura donc une valeur de \(x\) aussy peu f. 248r differente qu'on voudra de \(g\), et à laquelle repondront deux valeurs ; d'où on est peut être en droit de conclure que \(x=1\) donne deux valeurs de \(e\), surtout lorsque par la nature de la courbe, \(e\) n'indique point un parametre arbitraire et constant mais l'ordonnée repondante à \(x=1\) ou \(g\), & qu'on n'est pas le maitre de supposer unique.
Vous repondés à mon objection de \(-1×-1 = 1\) que par la même raison \(\surd{1}\) & \(\frac{1\pm\surd{-3}}{2}\) devroient avoir zero pour logarithmes ; et c'est dites vous, ce qui n'est pas soutenable. Vous appuyés cette observation par l'analogie ingenieuse que vous remarqués dans les logarithmes de \(1\) & de \(-1\) ; qui est telle que les logarithmes de \(-1\) sont imaginaires, aussi bien que ceux de \(\frac{1\pm\surd{-3}}{2}\) : et vous dites que cela vient de ce que \(-1\) n'est qu'une valeur de \(\surd{+1}\) et \(1\) l'autre. Cela est très subtilement remarqué, et on ne sçauroit admirer plus que je fais la sagacité de cette observation : mais je ne vois pas que de ce que \(-1\) n'est qu'une valeur de \(\surd{+1}\) il ne doive avoir que la moitié des logarithmes de \(\surd{+1}\) d'autant que \(+\surd{1}\) qui est l'autre valeur a les mêmes que \(1\), de votre propre aveu. Il est vray que la formule des sinus donne ces valeurs de \(\textrm{Log} -1\). Mais est il bien demontré que cette formule donne toutes les valeurs de \(\textrm{Log.} -1\) ? C'est ce que je ne vois pas encore : d'autant plus que la formule des sinus ne donne la valeur de \(\textrm{Log.} -1\) que parce que \(-1\) se trouve par hazard un des nombres de la formule imaginaire \(x+\sqrt{xx-1}\) en faisant \(x = -1\) : d'ou l'on pourroit croire que \(\log. -1\) n'est imaginaire, qu'autant que \(-1\) est censé appartenir à la suite des quantités imaginaires \(x+\sqrt{xx-1}\). Vous dites encore, Monsieur, que suivant mon raisonnement \(\ell\surd{-1}\) devroit etre \(= 0\), & que si cela etoit \(\ell\surd{-1}\) ne donneroit point la quadrature du cercle, je reponds à cela qu'il la donnera parce que \(\ell\surd{-1}\) a plusieurs valeurs ; et cela est si vray que \(\frac{\ell\surd{-1}}{\surd{-1}}\) represente indifferemment ou f. 248v la circonference, ou deux fois la circonference &c. Ainsi comme on auroit tort de dire que \(\frac{\ell\surd{-1}}{\surd{-1}}\) ne scauroit representer la circonference, parce qu'il ne pourroit pas representer deux fois la circonference, il me semble aussy qu'on ne peut pas dire que \(\ell\surd{-1}\) ne soit pas \(= 0\) dans un cas, parce que dans un autre il represente la circonference ; j'en dis autant de \(\ell\,\frac{1\pm\surd{-3}}{2}\) & je ne vois pas qu'il soit demontré qu'une de ses valeurs ne puisse pas etre \(= 0\).
Enfin je vous avois objecté, que je ne concevois pas comment \(\textrm{Log.} -y\) differoit d'une quantité constante imaginaire de \(\textrm{log.} y\) & que supposant une fonction de \(y\) qui representât \(\textrm{log.} y\), cette fonction n'augmenteroit pas d'une quantité imaginaire constante en faisant \(y\) negatif. Vous repondés à cette objection par l'exemple de \(\textrm{Log.} y\) qui doit augmenter d'un nombre constant \(a\) en mettant \(ay\) pour \(y\) dans son expression. Cette reponse me paroit satisfaire à mon objection ; et il pourroit en resulter que \(\textrm{Log.} y\) ne sçauroit être représenté par aucune fonction, ce que je suppose peut être faussement. Vous voyés, Monsieur, que je suis docile sur ce point : j'espere que vous me mettrés bientôt en etat de l'être sur tout le reste.
Je suis bien sensible aux eloges que vous donnés à ma piece sur le mouvement de la Lune ; j'espere vous envoyer bientôt un memoire où vous verrés l'application de ma Theorie aux usages astronomiques. Je conviens avec vous que c'est ce qu'il y a dans cette matière de plus important et de plus difficile, & on ne s'apperçoit bien de la difficulté que quand on examine la chose de près ; je seray bien charmé de scavoir ce que vous penserés sur ma methode de traiter cette question. J'ay l'honneur d'etre avec la plus parfaite consideration,
Monsieur,
Votre tres humble et tres obeissant serviteur
D'Alembert
à Paris ce 26 avril 1747.
f. 249rIl me vient une pensee en fermant ma lettre, que je ne vous propose, monsieur, que comme une premiere idée que je n'ay pas eu le tems d'aprofondir assés. Je ne vois pas comment on deduiroit de la formule des arcs de cercle \(s=\surd{-1}\times \textrm{Log.} x+\sqrt{xx-1}\), que les logarithmes des quantités positives sont réels. Car faisant \(x>1\) le log. de \(x+\sqrt{xx-1}\) qui est alors une quantité réelle devient \(-s\surd{-1}\) qui est le produit de deux imaginaires. Or si la valeur de \(s\) lorsque \(x>1\) n'est point une imaginaire pure, mais un mixte imaginaire, \(a+b\surd{-1}\) comme je le crois au 1er. coup d'œil, \(s\surd{-1}\) ne seroit point réel. Ce qui prouveroit que la formule \(-s\surd{-1}=\textrm{Log.} x+\sqrt{xx-1}\) ne representeroit point en general tous les logarithmes, ny par consequent tous ceux de \(\textrm{Log.} -1\).
f. 249vA Monsieur,
Monsieur Euler, directeur de l'academie Royale des Sciences & des belles lettres de Prusse, professeur de mathematiques, & membre de l'academie Imperiale de Petersbourg
a Berlin
50.01  |  3 janvier 1750
Euler Leonhard à D'Alembert
50.02  |  9 janvier 1750
D'Alembert à Cramer
50.03  |  [c. 20-25 janvier 1750]
Cramer à D'Alembert
50.04  |  12 février 1750
D'Alembert à Cramer
50.05  |  22 février 1750
D'Alembert à Euler Leonhard
50.07  |  7 mars 1750
Euler Leonhard à D'Alembert
50.08  |  30 mars 1750
D'Alembert à Euler Leonhard
50.09  |  23 mai 1750
Maupertuis à D'Alembert
50.10a  |  [c. septembre 1750]
D'Alembert à Cramer
50.10  |  5 août 1750
Cramer à D'Alembert
50.11  |  2 octobre 1750
Cramer à D'Alembert
50.11a  |  [c. 8 octobre 1750]
Cramer à D'Alembert
50.12  |  18 octobre [1750]
D'Alembert à Cramer
50.12a  |  [11, 18 ou 25 novembre 1751]
D'Alembert à Rameau
50.13  |  16 novembre 1750
D'Alembert à Maupertuis
50.14  |  20 novembre 1750
Cramer à D'Alembert
50.15  |  [fin 1750]
Euler Leonhard à D'Alembert