f. 1rMonsieur,

Il y a deja quelque tems que j'ay recu la lettre que vous m'avés fait l'honneur de m'ecrire, & la raison qui m'a empeché d'y repondre plutôt, c'est que j'attendois de jour en jour Monsieur de Maupertuis, dont je desirois vous donner des nouvelles. Il vient enfin d'arriver en tres bonne santé avec un visage beaucoup meilleur que celuy qu'il avoit dans son voyage de 1746. J'ay eté charmé de le revoir, nous avons beaucoup parlé de vous, et il m'a chargé de vous faire bien ses complimens. Puisqu'il vous a fait part de la lettre que je luy avois ecrite il y a quelque tems au sujet des monades, je vous diray en toute franchise que j'ay eté fort surpris qu'on ait couronné la pièce de M. Justi. Parmy celles qui ont concouru, j'en f. 1v connoissois une francoise, c'est celle qui a pour devise quam bellum est velle &c. Elle est d'un de mes amis, homme de beaucoup d'esprit, et elle me paroit fort superieure à celle de M. Justi. Je ne pretends pas pourtant qu'elle vaille mieux que les autres qui sont en latin, & que je n'ay pas encore lües, mais je ne puis m'empecher de me recrier contre l'injustice, d'autant que je scay que vous n'y aves point trempé. Je pense comme vous que la metaphysique est la clef de toutes les sciences ; et que toutes les sciences ont la leur. Je crois à la verité que les bornes en sont etroites, mais cela ne m'empeche pas de l'estimer beaucoup en elle même, & de faire grand cas de ceux qui comme vous, Monsieur, la cultivent avec succès.

Il y a deja quelques mois que j'ay fini la partie de l'Encyclopedie dont je m'etois chargé, & la plus part de nos travailleurs ont aussy f. 2r fini. Ce qui nous occupe a present, ou plutôt, ce qui occupe M. Diderot, ce sont les arts, que l'on veut traiter assés a fond, et pour lesquels il faut beaucoup de planches & de detail. Vous serés averti du moment ou l'on souscrira, on vous rendra tant dans le prospectusque dans l'ouvrage meme toute la justice que vous merités, et j'auray soin aussy que vos papiers vous soient renvoyés en bon etat. J'ay fait un tres grand usage de ceux qui regardoient ma partie, & je vous en ay fait honneur. Vous aurés aussy sans aucune difficulté un exemplaire comme on vous l'a promis. Je vous prie de veiller a ce qu'on imprime dans votre volume mes deux memoires sur les cordes vibrantes, ou le premier de ces memoires seulement, & la suite des recherches sur le calcul integral.

J'ay l'honneur d'etre avec la plus parfaite consideration

Monsieur

Votre tres humble et tres obeissant serviteur

D'alembert

Paris ce 27 octobre 1748

f. 2vA Monsieur
Monsieur Formey secretaire perpetuel de l'academie Royale des sciences de Prusse
A Berlin