Sélection de lettres
|
|||||
    [Manuscrit autographe] (affichée) | |||||
Ms. 880, f. 15-16
|
|||||
    [Imprimé 1980] | |||||
Leonhard Euler, Opera Omnia, série IV A, vol. 5, p. 297-299
|
Euler Leonhard (Berlin) à D'Alembert (Paris)
f. 15rMonsieur,
J'espere que Vous aures bien reçu ma derniere lettre, dont Mr. de Maupertuis a eu la bonté de se charger : celle-cy Vous sera remise par Mr. Battier mon Cousin et Membre de notre Academie, qui ayant le dessein de s'appliquer de toutes ses forces aux mathematiques à Paris, m'a fort prié de lui procurer l'honneur de Votre connoissance. Comme je suis bien seur que Vous le trouverés digne de Votre affection, j'espere que Vous ne me saures pas mauvais gré de cette recommendation et que Vous ne lui refuseres point le secours de Vos lumieres, dont il aura besoin dans la poursuite de ses etudes mathematiques.
J'ai consideré dernierement la courbe \(AM\), qui etant rapportée à l'axe \(CQ\) perpendiculaire à la droite donnée \(AC = 1\), a cette proprieté que l'appliquée \(QM = u\) qui repond à l'abscisse \(CQ = t\), est egale à l'arc \(AQ\) d'un quart de l'ellipse dont les deux demi-axes sont \(AC = 1\) et \(CQ = t\). On voit d'abord que si \(CQ = t\) evanouït, alors l'appliquée \(QM = u\) devient \(= CA = 1\), de sorte que la courbe \(AM\) sera à peu près semblable à une hyperbole équilaterale dont le centre est en \(C\) : car elle aura aussi f. 15v des aymptotes qui passent par le point \(C\), et qui font un angle demi-droit avec \(CA\). Il n'est pas difficile d'exprimer la nature de cette courbe par une équation differentio-differentielle, qui supposant l'element \(dt\) constant, sera \(\frac{ddu}{dt^2}=\frac{(1+tt)du}{t(1-tt)dt}-\frac{u}{1-tt}\). De là il semble d'abord qu'il ne sera pas difficile d'exprimer la valeur de \(u\) par une telle series \(u=1+Att+Bt^4+Ct^6+Dt^8+\textrm{etc}.\) mais Vous verres avec bien de la surprise, que tous ces coefficiens \(A\), \(B\), \(C\), \(D\), etc. deviennent infinis. Quoique cette équation ne serve de rien pour la connoissance de cette courbe, il s'ensuit de là, que le rayon de la developpée de cette courbe en \(A\) est infiniment petit. Mais je voudrois voir l'equation entre les coordonnées \(AP = x\) et \(PM = y\), qui exprimât seulement la nature d'une portion infiniment petite de la courbe auprès de \(A\). Cette équation aura une telle forme \(y=\alpha x^n\) selon Vos remarques, et puisque la tangente en \(A\) est perpendiculaire à l'abscisse \(AP\), il sera \(n < 1\), et puisque la courbure en \(A\) est infiniment grande il y aura \(n >\frac{1}{2}\) ; mais quelque Valeur entre ces deux limites, que Vous ne donnies à \(n\) elle ne satisfera jamais à l'équation differentio-differentielle. En voicy donc un cas bien étrange, dont je suis curieux de voir si Votre solution sera d'accord avec la mienne.
J'ai l'honneur d'être avec la plus parfaite consideration
Monsieur
Votre très humble et très obeïssant serviteur
L. Euler
Berlin ce 27 Dec 1748