Sélection de lettres
|
|||||
    [Manuscrit autographe] (affichée) | |||||
136/op2/3, f. 45-46
|
|||||
    [Imprimé 1980] | |||||
Leonhard Euler, Opera Omnia, série IV A, vol. 5, p. 301-302
|
D'Alembert (Paris) à Euler Leonhard (Berlin)
f. 45rMonsieur,
M. Grischow a bien voulu se charger de vous remettre de ma part un exemplaire d'un ouvrage que je viens de publier sur la precession des Equinoxes. Les recherches que j'ay faites sur ce sujet, jointes à d'autres occupations m'ont empeché d'examiner jusqu'a present la question du mouvement de l'apogée ; il est vray que j'ay crû, comme vous, Monsieur, & M. Clairaut, que la Theorie ne donnoit que la moitié du mouvement observé, mais je pourrois bien m'être trompé en cela ; je desire même m'être trompé ; car je ne voyois pas sans quelque peine, que ce Phenomene ne quadrât pas avec les observations, etant certain que toutes les autres inegalités du mouvement de la Lune sont aussi bien d'accord qu'on puisse le desirer avec les Tables ; car la difference n'est que de \(10\) à \(12{'}\) comme j'ay eu l'honneur de vous le f. 45v marquer ; il est vray que si le mouvement de l'apogée n'est que de 18 ans, l'erreur pourroit aller à \(12^\circ\), mais j'avois supposé une force ajoutée à la gravitation, et qui fit faire à l'apogée son tour en neuf ans. Reste à savoir si cette force est inutile ; c'est ce qu'il faut examiner avec grand soin, & je n'ay pas envie de prononcer la dessus à la legere ; l'experience me rendra sage à l'avenir. Quoyqu'il en soit, Monsieur, je vous avoüeray, qu'en supposant meme que nous ne nous soyons point trompés dans le calcul du mouvement de l'apogée, je ne goute nullement l'opinion où vous paroissés être, et où M. Clairaut etoit aussy que l'attraction ne suit pas exactement la loy inverse du quarré des distances. Si l'apogée de la Lune ne faisoit en effet son tour qu'en 18 ans, en vertu de la force du Soleil, j'aimerois mieux expliquer son mouvement en neuf ans par le moyen de quelque force particulière, magnetique ou autre, qui vienne de la Terre, que de changer pour un seul Phenomene une loy qui s'accorde avec tous les autres & qui est fort simple. f. 46rJ'ay peine à supposer que l'attraction d'un atome depende d'autre chose que de sa masse & de sa distance, & en ce cas l'attraction ne peut etre que le produit de la masse par une puissance simple de la distance, autrement il faudroit faire entrer dans l'expression de la force attractive un parametre que je vous avoüe que je ne scay ou prendre. Je crois aussy que cette fonction n'auroit pas l'avantage d'etre une loy generale pour la pesanteur des planetes & pour les Tuyaux capillaires, comme M. Clairaut le pretend : car l'attraction qui cause l'ascension des liqueurs dans les Tuyaux capillaires etant plus grande de beaucoup que la pesanteur terrestre, je ne vois pas comment on pourroit accorder cette expression avec la raison reciproque du quarré des distances, qui se trouve, au moins à tres peu près, entre la pesanteur de la Lune vers la Terre, & celle des corps terrestres.
Que resulte t il de tout cela, Monsieur ? C'est qu'il ne faut point se presser, et que nous devons prendre tout le tems necessaire pour examiner une question si importante. Je souhaite que le mouvement de l'apogée quadre avec le systême de Newton ; mais f. 46v quand il ne quadreroit pas, je n'en croirois pas ce systême moins vray, puisqu'il rend raison de tous les autres Phenomenes celestes que nous connoissons, & entr'autres des inegalités les plus considerables du mouvement de la Lune, & des mouvemens jusqu'icy observés dans l'axe de la Terre, comme vous le verrés par l'ouvrage que je viens de publier.
Il me semble que ce que j'ay dit de l'Equation \(y = x^{n}\) ne regarde que les courbes Geometriques, j'ay même observé qu'il falloit quelquefois considerer deux termes, comme dans la courbe \(y=x^2+\sqrt{x^5}\). Je n'ay besoin que des courbes Geometriques pour prouver mon Theorême sur les facteurs trinomes ; et je crois que dans ces courbes on a toujours \(y = x^{n}\), mais quand on auroit \(y = x^n \textrm{Log.} x\), le Theoreme n'en seroit pas moins vray. J'ay l'honneur d'etre avec la plus parfaite consideration
Monsieur
Votre très humble & très obeissant serviteur
D'alembert
Paris ce 20 juillet 1749