Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)

Série V | Correspondance générale

Sélection de lettres

LETTRE 49.10   |   12 novembre 1749
D'Alembert (Paris) à Formey (Berlin)

Version affichée :

f. 1rà Paris ce 12 nov. 1749

Monsieur,

Je suis tres reconnoissant des soins que vous aves bien voulu vous donner pour m'expliquer le vray sens de votre Programme, mais apres avoir comparé de nouveau ce Programme avec votre lettre, je suis demeuré convaincu qu'il a besoin d'une explication publique.

Mr. Diderot & quelques autres amis à qui j'ay communiqué votre lettre, pensent entierement comme moy à cet egard. On n'imaginera jamais que le sujet de votre prix soit, les devoirs aux quels nous sommes obligés en consequence de la Providence ; du moins je ne connois personne à Paris qui ait pris votre question dans ce sens, & j'en ay entendu parler à bien des gens, la plus part Philosophes & gens f. 1v d'esprit.

Je vous avoüeray d'ailleurs, Monsieur, que cette question ne me paroit pas fournir beaucoup. Le Gouvernement physique & moral de ce monde me semble une Enigme pour nous, ou plutot une espece de logogryphe dont nous devinons quelques syllabes tant bien que mal, mais dont presque tous les mots nous echappent. Il me semble qu'on ne peut dire la dessus que des choses vagues, telles que Malebranche & d'autres en ont dit, & quand on n'a que du vague à dire, ce n'est pas la peine de parler. Tous les devoirs aux quels nous sommes obligés en consequence de ce systême de la Providence, se réduisent ce me semble, à nous y soumettre, & il ne faut point de dissertation pour cela. Je crois d'ailleurs qu'a en juger par nos foibles lumieres, ce systême est sujet à de grandes objections, si on le considere du côté purement Philosophique. Il tient à l'optimisme, & l'optimisme quoy qu'il presente au premier abord une idée magnifique, n'est pas sans de grandes difficultés. En un mot, on ne fera jamais voir (par les seuls principes de f. 2r la Philosophie) que le monde est mieux tel qu'il est que s'il ny avoit aucun desordre Physique ny moral; si tous les climats etoient agreables, tous les hommes justes, vertueux, sans peine desprit ny de corps. Il faut avoir recours pour cela à la revelation, & je conclus delà que votre question peut faire la matiére d'un tres beau sermon, mais non, selon moy, d'un ouvrage purement metaphysique. Voila, Monsieur, mon petit avis, que je vous expose avec d'autant plus de franchise que je n'y attache aucun poids. Vous en ferés ce que vous jugerés à propos.

Je ne scay lequel des memoires que je vous ay envoyés se trouve dans votre nouveau volume que je n'ay pas encore recu. Parmy ceux que vous avés entre les mains il y en a trois que je desire qui soient imprimés. Savoir 1° la seconde partie de mes recherches sur le calcul integral. 2° un premier memoire sur la courbure des cordes tendües 3°  un second memoire sur le meme objet. Je vous prie d'inserer dans le volume qui est sous presse, celuy de ces memoires que vous jugerez à propos.

f. 2vJe vous ay encore envoyé d'autres memoires sur la lune, & sur d'autres points du systême du monde, mais il est inutile d'imprimer ceux là, parceque je les feray paroitre dans un ouvrage separé. J'espère, Monsieur, que vous voudrés bien veiller à l'impression de l'un des memoires que je vous marque, ou en prier de ma part Mr. Euler en luy faisant bien mes complimens. J'ay l'honneur d etre avec la plus grand consideration

Monsieur
Votre très humble & très obeissant serviteur

D'Alembert

A Monsieur
Monsieur Formey secretaire perpetuel de l'academie Royale des sciences
a Berlin