Sélection de lettres
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    [Manuscrit autographe] (affichée) | |||||
Columbia University Rare Books Library, David Eugene Smith Historical Collection, New York, Rare Books Coll., D. E. Smith Box A
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    [Imprimé 1977] | |||||
John Pappas, « Quelques lettres inédites de d'Alembert », Dix-huitième siècle 9, 1977, p. 232-234
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D'Alembert (Paris) à Cramer (Genève)
f. 1rA Paris 12 fevr. 1750
Vos lettres, mon cher monsieur, seroient bien capables de me distraire de tous mes petits chagrins, quand la Philosophie ne m'auroit pas appris à les secoüer. Je n'en suis pas moins sensible à la part que vous y prenés ; on est fort heureux, lors même qu'on n'a pas besoin de consolation, de sentir qu'on peut la trouver. Mais il vaut encore mieux s'en passer, si on le peut, et pour cela il ne faut que savoir appretier tout. C'est a quoy je m'occupe beaucoup, et je puis vous assurer que cette etude en vaut bien une autre.
Je crois, à propos de chagrin, que le peu de succès de l'Essay de Philosophie morale en a donné beaucoup à Maupertuis. Franchement je ne scay ce qu'il a eu en vüe en donnant ce livre, et sans me mettre au rang des speculatifs de votre ville, je gagerois presque qu'il ne pense pas tout ce qu'il a imprimé dans cet ouvrage. Avés vous vu le 3e. vol. des memoires de Berlin ! Il y a de la Prose et des vers du Roy de Prusse, et vous y trouverés deux memoires de moy, ou il y a bien des fautes d'impression, je feray en sorte que dans le prochain volume on en trouve l'Errata. L'impression de nos memoires est si retardée, et j'ay d'ailleurs si peu lieu f. 1v d'être content de l'academie, que j'envoyeray à Berlin toutes mes pieces fugitives. Croiriés vous bien qu'on a parlé de supprimer ma pension de 500lt ? A la vérité on n'en parle plus, je ne scay pourquoy, car vous croyés bien que je n'ay pas fait un pas pour la conserver : j'aurois presque dit comme le Misantrope ! je voudrois ... pour la beauté du fait &c.
L'academie de Petersbourg vient de proposer la Theorie de la Lune pour sujet du prix de 1751. Je suis en etat de repondre à la lere partie du programme et de demontrer papiers sur table que la Theorie quadre a merveilles avec les tables de Newton, lesquelles comme vous scavés n'ont gueres que 5' d'erreur. Mais je ne scay si j'auray le tems de pousser le calcul assés loin pour donner des tables plus exactes. J'ay imaginé un moyen qui pourroit m'epargner bien du travail, et d'autres encore, et tout cela fera le sujet d'un grand ouvrage qui pourra être achevé dans le f. 2r courant de cette année.
La lettre sur les aveugles est fort difficile à trouver aujourdhuy. Je verray cependant s'il est possible de vous en avoir une. L'ouvrage de Rameau est imprimé et paroitra dans le courant de cette semaine. Je crois que vous en serés content. À l'egard du livre de M.~Smith, le cas que vous en faites me determinera à le lire au premier moment que j'auray. Le systême de Rameau sur le temperament est fort simple. Il consiste à rendre tous les demi-tons egaux, et à alterer par consequent egalement toutes les quintes, & je crois ce systême fondé en raisons. À l'egard de la Theorie ordinaire des consonances, je ne l'ay jamais goutée ; cependant je crois qu'on pourroit dans cette Theorie meme, trouver la raison pour laquelle 200 & 301 plaisent presque autant que 2 et [3].
La Tragedie d'Oreste, malgré les corrections & surcorrections de l'auteur, n'a pas eu grand succès. Il en a eté de même de l'opera de Zoroastre, malgré la musique du 4e. acte, qui est peut etre ce que Rameau a fait de plus beau. Le Poëme a tué toute cette musique, & et je crains bien que cet opera, l'un des plus beaux de Rameau, ne soit jamais repris. Je crois pourtant qu'il ira a 30 representations. Le P.~de~Mon-f. 2vtesquieu vient de repondre a la Gazette Ecclesiastique qui avait accusé l'esprit des loix de spinozisme, de deisme, d'atheisme, & de tous les noms en isme excepté christianisme. Je ne vois pas a quoy bon cette reponse. Au reste je ne l'ay pas lüe. Nous avons la traduction (tres mauvaise) du roman anglois de l'enfant trouvé. Ce Roman m'a fait plaisir, quoyque mal fait & trop long.
À Dieu mon cher monsieur, je vous embrasse de tout mon coeur, et vous prie de me conserver votre amitie.
D.
A Monsieur
Monsieur Cramer professeur de mathematique
A Geneve