f. 198rà Paris 15 juin 1751

Vous avez bien raison, mon cher monsieur, c'est l'accablement de mes occupations qui m'a empêché de vous écrire. Le premier volume de l'Encyclopedie a pris tout mon tems ; enfin je respire, il paroitra le 28 de ce mois au plus tard, & je ne perdrai point de tems pour faire vos paquets, et vous expedier promtement. Je vous demande votre protection pour la preface et pour l'ouvrage en general. Si vous n'etes pas content de la preface, il faut que je me borne a la Geometrie ; car j'ai fait de mon mieux. J'attends avec grande impatience votre jugement sur ce morceau. Il ne m'a pas eté possible de vous consulter, & vous vous en appercevrez sans doute. Je vous prie d'en dire du bien aux autres, et du mal à moy. Car si cet ouvrage reussissoit, je pourrois un jour le donner a part, et je profiterois de vos remarques.

Le P. B. merite bien la maniere dont on l'a traité. S'il medit f. 198v de l'Encyclopedie dans son journal, je luy garde pour le second volume la comparaison de deux extraits contradictoires qu'il a fait de l'ancien prospectus et du nôtre. Cela sera plaisant. J'ay fait un article antipodes dont les RR. PP. ne seront pas contens. Nous avons 500 articles au moins à leur service ; entr'autres l'article Chinois, Confucius, &c. mais nous ne serons pas les aggresseurs, et nous aurons soin de les mordre sans nous compromettre. Il me semble qu'ils auroient du nous menager. Vous avez porté sur l'article art un jugement très sain. Vous en trouverez dans le premier volume un assez grand nombre de cette force, mais comme vous dites fort bien, il y auroit du malheur si les 24 ressembloient à M. Diderot.

J'ay encore 156^lt à vous, qui avec les 100^lt que je vais recevoir font 256 ; 6 fois 36 font 216, reste 40^lt sur les quels je payeray le volume des correspondans. Je compte que mercredy prochain au plûtard, c'est a dire de demain en huit l'impression sera achevée ; dez qu'il f. 199r sera possible, je feray expedier votre paquet, et vous pouvez etre sûr que je n'y perdray point de tems. Je vais me remettre à la Geometrie. C'est presque du plus loin qu'il me souvienne. J'ay trois ouvrages a peu près finis que je compte publier d'icy a Pâques prochain. Adieu mon cher Monsieur, portez vous bien. Il me semble que j'ay un poids hors de dessus les epaules, d'être debarassé du fardeau de ce premier volume, et d'avoir le tems de vous écrire. Le second ne me donnera presque point de peine. Vale et me ama.

f. 199vA Monsieur
Monsieur Cramer professeur de Philosophie
a Geneve