Sélection de lettres
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    [Imprimé 1799] (affichée) | |||||
Œuvres posthumes de D'Alembert, tome premier, Charles Pougens, Paris, 1799, p. 419-421
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    [Leigh 162] | |||||
Correspondance complète de Jean-Jacques Rousseau, ésition critique établie par R. A. Leigh, Oxford, Voltaire Foundation, 52 vol., 1965-2003, 162
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Rousseau Jean Jacques (Paris) à D'Alembert (Paris)
Le contenu de la lettre, et en particulier le remerciement pour le Discours préliminaire, date sans ambiguïté de 1751..
p. 17Ce 26 juin
Je vous renvoie, Monsieur, la lettre C, que je n'ai pu relire plutôt, ayant toujours été malade. Je ne sais point comment on résiste à la manière dont vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, et je serois bien fâché de le savoir. Ainsi j'entre dans toutes vos vues, et j'approuve les changemens que vous avez jugé à propos de faire ; j'ai pourtant rétabli un ou deux morceaux que vous aviez supprimés, parce qu'en me réglant sur le principe que vous avez établi vous même, il m'a semblé que ces morceaux faisoient à la chose, ne marquoient point d'humeur et ne disoient point d'injures. Cependant, je veux que vous soyez absolument le maître, et je soumets le tout à votre équité et à vos lumières.
Je ne puis assez vous remercier de votre discours préliminaire. J'ai peine à croire que vous ayez eu beaucoup plus de plaisir p. 18 à le faire que moi à le lire. La chaîne encyclopédique sur-tout m'a instruit et éclairé, et je me propose de la relire plus d'une fois. Pour ce qui concerne ma partie, je trouve votre idée sur l'imitation musicale très-juste et très-neuve. En effet, à un très-petit nombre de choses près, l'art du musicien ne consiste point à peindre immédiatement les objets, mais à mettre l'ame dans une disposition semblable à celle où la mettroit leur présence. Tout le monde sentira cela en vous lisant ; et sans vous, personne peut-être ne se fût avisé de le penser. C'est là, comme dit la Mothe,
De ce vrai dont tous les esprits
Ont en eux-mêmes la semence ;
Que l'on sent, mais qu'on est surpris
De trouver vrai quand on y pense.
Il y a très-peu d'éloges auxquels je sois sensible ; mais je le suis beaucoup à ceux qu'il vous a plu de me donner. Je ne puis m'empêcher de penser avec plaisir que la postérité verra dans un tel monument que vous avez bien pensé de moi.
Je vous honore du fond de mon ame, et suis de la même manière, Monsieur, votre très humble, etc.
Rousseau