Sélection de lettres
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    [Manuscrit autographe] (affichée) | |||||
Saint-Pétersbourg, Archives de l'Académie des sciences de Russie, 136op23, f. 220-221
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    [Imprimé 1980] | |||||
Leonhard Euler, Opera Omnia, série IV A, vol. 5, p. 311-312
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D'Alembert (Blancmesnil) à Euler Leonhard (Berlin)
f. 220rMonsieur,
Des occupations sans nombre m'ont empeché de repondre plutôt à la derniere lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'ecrire. Je scay bien que j'ay à me plaindre de Mr Grischow qui a ecrit à Paris que j'avois concouru pour le prix de 1750 proposé par votre academie : mais ce n'est pas celui des commissaires dont j'ay à me plaindre le plus. Je scay que ma piéce avoit paru assez bonne a deux des commissaires pour meriter d'etre couronnée, mais que le troisieme en vouloit favoriser une autre dans laquelle il etoit, dit-on, beaucoup loué, & que pour empecher cette injustice les deux autres commissaires aimerent mieux consentir à remettre le prix. Je scai aussi par une voie tres sure qu'il s'est passé bien des vilainies sur ce sujet, sans en scavoir le detail : mais c'en est assez pour ne pas m'y exposer davantage. L'avanture de Mr Justi auroit du me rendre sage, car sa piece sur les monades est si mauvaise qu'il n'est f. 220v pas difficile de voir que c'est par cabale qu'il a obtenu le prix ; aussi ce jugement n'a-t-il point fait d'honneur aux commissaires, ou du moins à ceux qui ont eté pour Mr Justi, & dont quelques uns sont connus. J'ay donc resolu, Monsieur, de retirer ma piece du concours, afin de laisser au commissaire dont je vous ay parlé pleine liberté de favoriser qui il voudra. Je vous avoüe que j'ay été surpris de la severité avec laquelle on m'a traité : car je croyois ma Theorie assez neuve pour meriter qu'on ne remit pas le prix. D'ailleurs, je doute fort que sur cette matiere la Theorie puisse aller aussi loin que l'academie l'exige. Je souhaite pourtant qu'un autre soit plus heureux. Je vais faire imprimer mon ouvrage auquel j'ay fait plusieurs additions considerables et importantes, & j'auray l'honneur d'ecrire au secretaire de l'academie de vouloir bien retirer ma piéce ; je ne crois pas que cela doive faire de difficulté : mais f. 221r vous recevrez surement ma pièce imprimée quatre ou cinq mois au moins avant le jugement ; il est assés dur pour moi de ne pas trouver dans les etrangers plus de ressources et de satisfaction que dans ma patrie, mais laboris pretium in ipso est. C'est par la meme raison que je ne concoure point pour Petersbourg, quoyque j'aye entierement achevé ma Theorie de la Lune, sur laquelle Tel qui se croit fort avancé, est peut etre encore assez loin du bût. Cela n'empechera pas, Monsieur, que je ne conserve toujours pour vos talens toute l'estime qui leur est si bien düe, & que je ne cherche toutes les occasions de vous en donner des marques. Car la premiere qualité d'un Philosophe est d'etre juste, et la seconde de faire dependre son bonheur des autres le moins qu'il est possible.
J'ay l'honneur d'etre avec une parfaite consideration,
Monsieur,
Votre tres humble et tres obeissant serviteur D'alembert
à Blancmesnil près Paris ce 10 sept 1751.
f. 221vA Monsieur
Monsieur Euler, membre des academies de Berlin, de Petersbourg, de Londres &c.
à Berlin