p. 4Monsieur,

Je suis très en peine de la santé de M. de Maupertuis. J'en ai reçu, il y a quelques jours, par une voie indirecte, de fort mauvaises nouvelles. Je lui ai écrit, il y a déja quelque temps, & n'en ai point encore eu de réponse : je m'imagine que son état en est cause. Je vous supplie instamment de m'en donner des nouvelles.

Je crois aussi que votre prix sur les fluides sera donné lorsque vous recevrez cette lettre ; & j'espère que vous voudrez bien par la même occasion m'apprendre le nom de celui qui l'aura gagné. De très bonnes raisons m'ont empêché de concourir une seconde fois. Je crois avoir beaucoup à me plaindre de la manière dont quelques-uns de vos confrères se sont comportés à mon égard il y a deux ans ; aussi suis-je résolu à ne plus concourir davantage, ni pour ce prix-là, ni pour aucun autre. M. Euler vient de remporter notre prix, & je crois avoir eu quelque part à sa bonne fortune, parce qu'il ne m'a pas paru juste de le remettre encore, comme quelques uns de mes collègues le vouloient.

A l'égard de l'encyclopédie, toute la France désire qu'on la continue ; tout paroît même appaisé & d'accord. Il n'y a que moi qui tiens ferme, & qui y tiendrai. Je vous en fais juge. Voici les seules conditions auxquelles je crois qu'un galant homme puisse continuer, & je ne crois pas qu'on me les accorde :

1) que le journal des savans qui a, sans rime ni raison, attaqué ma préface comme un ouvrage impie & scandaleux, me fera une réparation authentique & telle que je la dicterai.

2) que le journaliste, qui m'a ainsi déchiré sans l'aveu de ses confrères, (car ce morceau a été imprimé furtivement,) écrira dans le journal une lettre de réparation, ou sera chassé du journal.

3) que le conseil du Roi qui a traité les encyclopédistes comme des cartouchiens, donnera un arrêt qui réhabilitera l'encyclopédie avec éloge, lèvera la suppression des deux premiers volumes, moyennant quelques cartons dont les auteurs conviendront, & ordonnera la continuation de l'ouvrage.

4) qu'on nous donnera des censeurs éclairés & raisonnables, & non des bêtes brutes en fourrure, vendues à nos ennemis.

5) qu'il nous sera permis de soutenir toutes les opinions qui ne seront pas contraires à la religion ni au gouvernement, comme celle-ci, que les idées viennent des sens, dont notre illustre Sorbonne voudroit faire une hérésie, & une infinité d'autres.

6) qu'on ne fera aucuns cartons pour le discours préliminaire, qui en effet n'en a pas besoin, & qu'il me sera libre de le faire imprimer à part, s'il me plaît.

7) qu'il sera défendu aux jésuites, nos ennemis déclarés, d'écrire contre cet ouvrage, d'en dire même, ni bien, ni mal, ou bien qu'il nous sera permis d'user de représailles.

J'ai l'honneur d'être, &c.

le 24 mai 1752.

d'Alembert.