Sélection de lettres
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    [Manuscrit autographe] (affichée) | |||||
Koninklijke Bibliotheek, Collections royales des Pays-Bas, ‘s-Gravenhage, Den Haag, 129, G16A30, 1
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    [Best. D4990] | |||||
Œuvres complètes de Voltaire, vol. 85-135 ; Correspondence and related documents, Oxford, Voltaire Foundation, 1968-1977, D4990
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D'Alembert (Paris) à Voltaire (Potsdam)
f. 1rJ'ay appris, monsieur, tout ce que vous avez bien voulu faire pour l'homme de merite au quel je m'interesse, et qui est à Potzdam depuis peu de tems. J'avois prié madame Denis de vouloir bien vous écrire en sa faveur, & on ne scauroit etre plus reconnoissant que je le suis des egards que vous avez eus a ma recommandation. Je me flatte qu'a present que vous connoissez la personne dont il s'agit, elle n'aura plus besoin que d'elle même pour vous interesser en sa faveur, et pour meriter vos bontés. Je scai par experience que c'est un ami sur, un homme d'esprit, un Philosophe digne de votre estime et de votre amitié par ses lumieres et par ses sentimens. Vous ne scauriés croire a quel point il se loüe de vos procedés, et combien il est etonné qu'agissant et pensant comme vous faites, vous puissiés avoir des ennemis. f. 1v Il est pourtant payé pour en etre moins etonné qu'un autre ; car il n'a que trop bien appris combien les hommes sont mechans, injustes et cruels. Mon collegue dans l'Encyclopedie se joint a moy pour vous remercier de toutes vos bontez pour lui, et du bien que vous avez dit de l'ouvrage à la fin de votre admirable Essai sur Le siecle de Louis XIV. Nous connoissons mieux que personne tout ce qui manque a cet ouvrage ; Il ne pourroit être bien fait qu'a Berlin sous les yeux et avec la protection & les lumieres de votre prince Philosophe ; mais enfin nous commencerons, et on nous en scaura peut etre à la fin quelque gré. Nous avons essuyé cet hyver une violente tempête ; j'espere qu'enfin nous travaillerons en repos. Je me suis bien douté qu'apres nous avoir aussi maltraitéz qu'on a fait, on reviendroit nous prier de f. 2r continüer, et cela n'a pas manqué. J'ay refusé pendant six mois, j'ai crié comme le Mars d'Homere, & je puis dire que je ne me suis rendu qu'a l'empressement extraordinaire du Public. J'espère que cette resistance si longue nous vaudra dans la suite plus de tranquillité. Ainsi-soit-il.
J'ay lu trois fois consecutives avec Delices votre Louis XIV : j'envie le sort de ceux qui ne l'ont pas encore lu ; & je voudrois perdre la memoire pour avoir le plaisir de le relire. Votre Duc de Foix m'a fait le plus grand plaisir du monde ; la conduite m'en paroit excellente, les caracteres bien soutenus, & la versification admirable. Je ne vous parle pas de Lisois, qui est sans contredit un des plus beaux rôles qu'il y ait au theatre ; mais je vous avoueray que le Duc de Foix m'enchante ; avec combien d'amour, de passion et de naturel, il revient f. 2v toujours à son objet dans la scene entre lui & Lisois au 3e acte ? En ecoutant cette scene et bien d'autres de la piece, je disois à Mr. de Voltaire comme la pretresse de Delphes à Alexandre : ah ! mon fils, on ne peut te resister ; on nous flatte de remettre Rome sauvée après la St Martin : vos amis & le Public seront charmés de la revoir, mais ils aimeroient encore mieux revoir votre personne : je suis faché pour l'honneur de notre nation et de notre siecle que vous n'ayés pu dire comme Ciceron :
Remercia les dieux & quitta les Romains
Je puis en quelque chose imiter ce grand homme
Je rendrai grace au ciel et resterai dans Rome ;
Il ne me reste de place que pour vous reiterer mes remercimens, et vous prier de penser quelquefois au plus sincere de vos amis, et au plus zelé de vos admirateurs.
D'alembert
à Paris ce 24 aout 1752.