Sélection de lettres
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    [Imprimé 1799] (affichée) | |||||
Œuvres posthumes de D'Alembert, tome premier, Charles Pougens, Paris, 1799, I, p. 439-442
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    [Preuss XXV] | |||||
Œuvres de Frédéric le Grand, éd. J.D.E. Preuss, Berlin, Imprimerie royale, 33 vol., 1846-1857, XXV, p. 264-265
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    [Imprimé 1865] | |||||
Correspondance complète de la marquise du Deffand avec ses amis, éd. M. [Adolphe] de Lescure, Paris, Henri Plon, 1865, I, p. 151-152
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Argens (Potsdam) à D'Alembert (Paris)
p. 439Potsdam, 20 octobre 1752
J'ai montré, monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, au roi : elle a accru la p. 440 bonne opinion que sa majesté avoit de votre caractère, et elle a augmenté par conséquent l'envie qu'elle a de vous avoir à son service. Le roi m'a chargé, monsieur, de vous écrire de nouveau de sa part, et de répondre aux difficultés que vous croyez insurmontables, et qui, à vous dire vrai, ne me paroissent pas aussi grandes que vous le pensez.
La santé de M. de Maupertuis, malgré ce qu'on peut en avoir écrit à Paris, est toujours plus mauvaise. Il veut aller en France ; mais il n'ose partir, car il sent bien qu'il n'aura pas la force d'achever son voyage. Supposons que par un hasard inespéré il vînt à se rétablir, vous serez auprès du roi avec douze mille livres de pension ; vous aurez un logement dans le château de Potsdam, et vous serez désigné à la présidence de l'académie. Il n'y a rien dans tout cela à quoi M. de Maupertuis puisse trouver à redire ; et c'est en vérité porter votre délicatesse trop loin. D'ailleurs le roi m'a assuré que M. de Maupertuis seroit charmé de son choix.
Quant p. 441 aux ennemis que vous craignez que votre poste ne vous fasse dans ce pays, soyez persuadé que vous n'y aurez que des admirateurs parmi les honnêtes gens ; les autres seront trop heureux de dissimuler, et de rechercher votre amitié. Les bontés dont le roi vous honorera, seront trop marquées pour que ayez rien à redouter des cabales, qui d'ailleurs ne font pas ici fortune.
Si vous passiez à Londres ou à Vienne, vous pourriez craindre qu'on vous accusât d'avoir manqué à votre patrie ; mais vous venez chez le premier et le plus intime allié de notre nation, chez un roi qui l'aime, et qui a déjà attiré auprès de lui plusieurs de vos amis et de vos compatriotes.
Vous aimez la tranquillité ; vous la trouverez ici ; vous n'êtes obligé à aucune représentation ; vous verrez le roi comme un philosophe de qui vous serez chéri et estimé.
Le climat de ce pays n'est pas plus froid que celui de la Bretagne : j'ose vous assurer qu'il est plus beau p. 442 que celui de Paris, parce qu'il est beaucoup plus serein.Quant à l'Encyclopédie, vous pourriez travailler ici aux articles que vous faites, et laisser la direction de l'ouvrage à M. Diderot ; et si lorsqu'il sera fini, il vouloit venir à Berlin, je ne doute pas que le roi ne fût charmé de faire l'acquisition d'un homme de son mérite. Tous les gens qui pensent seroient portés à lui rendre service.
Si je suis assez malheureux, monsieur, pour que mes raisons ne vous persuadent pas, j'aurai du moins l'avantage de vous avoir montré que personne ne vous est plus attaché que moi, et que, plein d'admiration pour vos lumières et pour votre caractère, je n'ai rien oublié pour procurer à Berlin un homme qui en eût illustré l'académie.
Comme tout le monde commence à savoir que le roi a souhaité de vous avoir, je crois que le mystère devient aujourd'hui inutile.
Je suis, etc.