Sélection de lettres
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    [Imprimé 1799] (affichée) | |||||
Œuvres posthumes de D'Alembert, tome premier, Charles Pougens, Paris, 1799, p. 180-183
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    [Imprimé 1865] (pdf) | |||||
Correspondance complète de la marquise du Deffand avec ses amis, éd. M. [Adolphe] de Lescure, Paris, Henri Plon, 1865, p. 167-168
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D'Alembert (Paris) à Du Deffand (Vichy Chamron) Mme (Mâcon)
p. 180Je viens d'apprendre, madame, dans le même moment, votre maladie et votre convalescence. M. de la Croix m'a dit que vous aviez eu un accès de fièvre très fort, qui vous avoit fort agitée et fort inquiétée ; mais que cet accès n'avoit point eu, heureusement, de suites fâcheuses. Ménagez, je vous en supplie, votre santé ; observez vous sur-tout sur le manger : ce sera peut-être un peu de gourmandise qui vous aura procuré cet accès de fièvre. Je suis très-convaincu que vous pourrez vous soutenir avec du soin et du régime ; mais je le suis pas moins que le soin et le régime vous sont absolument nécessaires. Vous devez cette attention à vos amis, quand vous n'y seriez pas vous-même la première intéressée. Profitez des beaux jours qui commencent à revenir. Faites un peu d'exercice, mais très-modérément, le plus souvent en carrosse ; essayez même un peu de marcher p. 181 vous vous trouverez bien d'avoir ce courage. J'ai donné le même conseil à quelques personnes qui s'en sont très-bien trouvées ; et je suis persuadé que cela vous réussiroit aussi. Pardonnez-moi de faire ici le Vernage, et de lui voler ses lieux communs ; l'intérêt que je prends à votre santé et à votre bonheur, sera mon excuse.
Savez-vous bien que l'abbé de Canaye, à qui j'ai lu quelques-unes de vos lettres, raffole de vous, de votre esprit et de votre manière de penser ? cela est au point, que je ne désespère pas de l'engager à vous voir ; et je puis vous assurer que cela seroit bientôt fait, sans les obstacles presque insurmontables que son genre de vie y mettra toujours.
Je vous suis très-obligé des remarques que vous m'avez envoyées, et je vous supplie d'en faire mes remercimens à l'auteur. Toutes ces remarques sont certainement d'un homme d'esprit ; quelques-unes m'ont paru très-justes : il me semble qu'on pourroit en chicaner quelques autres ; mais sur cet article un auteur p. 182 doit toujours être suspect. J'attends avec impatience le jugement de Formont. Ce n'est pas la peine de lui écrire pour cela, et d'ailleurs il vous écrira encore plus librement qu'à moi. Je suis bien surpris que le président lui ait mandé tant de bien de mon livre ; il n'a pas tenu le même langage à tout le monde : mais au fond, qu'importe ? me voilà claquemuré pour long-tems, et vraisemblablement pour toujours, dans ma triste, mais très-chère et très-paisible géométrie. Je suis fort content de trouver un prétexte pour ne plus rien faire, dans le déchaînement que mon livre a excité contre moi. Je n'ai pourtant ni attaqué personne, ni même désigné qui que ce soit, plus que n'a fait l'auteur du Méchant et vingt autres, contre lesquels personne ne s'est déchaîné. Mais il n'y a qu'heur et malheur : je n'ai besoin ni de l'amitié de tous ces gens-là, puisque assurément je ne veux rien leur demander ; ni de leur estime, puisque j'ai bien résolu de ne jamais vivre avec eux : aussi je les mets à pis faire.
p. 183J'ai déjà tiré de mon livre 500 fr. de profit net et quitte : cela pourra aller à 2000 lt en tout, quand l'ouvrage sera vendu ; mais il n'est encore qu'à moitié. Adieu, madame ; portez-vous bien, et hâtez votre retour. Que ne savez-vous de la géométrie ! qu'avec elle on se passe de bien des choses !