Sélection de lettres
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    [Imprimé 1799] (affichée) | |||||
Œuvres posthumes de D'Alembert, tome premier, Charles Pougens, Paris, 1799, p. 183-185
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    [Imprimé 1865] (pdf) | |||||
Correspondance complète de la marquise du Deffand avec ses amis, éd. M. [Adolphe] de Lescure, Paris, Henri Plon, 1865, p. 171-172
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D'Alembert (Paris) à Du Deffand (Vichy Chamron) Mme (Mâcon)
p. 18314 avril 1753
Quoique je vous croie à Lyon, madame, je vous adresse cette lettre à Mâcon, parce que j'espère qu'elle vous sera envoyée, et qu'ainsi vous ne l'aurez guère plus tard. L'abbé de Canaye trouve que vous ne ressemblez point du tout au greffier de Vaugirard ; il est enchanté de vos lettres et de votre manière d'envisager et de rendre tout ; et en vérité il faudrait qu'il fût bien difficile ! Vous me demandez une recette contre l'ennui ; je vous répondrai d'écrire toujours des lettres quand vous n'aurez p. 184 rien de mieux à faire, car on ne peut pas s'ennuyer quand on écrit de la sorte. Eh bien, vous ne voulez donc pas, ni Formont non plus, que je me claquemure dans ma géométrie ; j'en suis pourtant bien tenté. Si vous saviez combien cette géométrie est une retraite douce à la paresse ! et puis les sots ne vous lisent point, et par conséquent ne vous blâment ni ne vous louent : et comptez-vous cet avantage-là pour rien ? En tout cas, j'ai de la géométrie pour un an tout au moins. Ah ! que je fais à présent de belles choses que personne au monde ne lira ! J'ai bien quelques morceaux de littérature à traiter, qui seroient peut-être assez agréables ; mais je chasse tout cela de ma tête comme mauvais train. La géométrie est ma femme, et je me suis remis en ménage. Je ne tirerai pas grand argent de mon livre, et cela ne me fait encore rien. J'avois compté, comme vous savez que je compte, sur deux mille écus environ, que j'étois bien honteux de gagner, car je n'en saurois que faire, et je n'en ai touché encore que cinq p. 185 cents livres, pas même tout-à-fait. Avec cela, j'ai plus d'argent devant moi que je n'en puis dépenser. Ma foi on est bien fou de se tant tourmenter pour des choses qui ne rendent pas plus heureux : on a bien plutôt fait de dire, Ne pourrois-je pas me passer de cela ? Et c'est la recette dont j'use depuis long-tems. J'attends avec impatience le mois de juin, où vous m'annoncez votre retour. Je serois enchanté de vous mener l'abbé ; mais je doute qu'il puisse obtenir un congé de Thérèse Philosophe. Je lui disois, il y a quelque tems, que j'avois été le recommander aux religieux de la Merci pour la rédemption des captifs : il y en a à Maroc et à Tunis de moins esclaves que lui. Avec cela il est content, se moque de tout, est fou à lier, et a près de soixante ans. Je mourrois de passer un jour comme il passe l'année. Adieu, madame ; avec mon abbé ou sans lui, je serai toujours enchanté de vous revoir.