Sélection de lettres
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    [Imprimé 1927] (affichée) | |||||
Maurice Darantiere, Quatre lettres de Jean le Rond D'Alembert à Jean Baptiste de Boyer Marquis d'Argens, Dijon, impr. M. Darantiere, in-8º, 37 p, p. 33-36
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D'Alembert (Paris) à Argens (Potsdam)
p. 33Je viens, Monsieur, d'apprendre par milord Marshall que le Roi me destine une pension de 1200lt, à la quelle ce Prince a la generosité de n'attacher aucune condition. Connoissant comme vous le faites mes sentimens de respect et d'attachement pour Sa Majesté, vous ne doutes point, Monsieur, de la reconnoissance profonde dont j'ay eté penetré en apprenant cette nouvelle. Quoique mon peu de fortune suffise à mes besoins, je n'en suis pas moins sensible à cette marque si flatteuse d'estime de la part d'un Prince, que ses vertus et ses lumieres ont rendu si respec-p. 34table et si celebre. J'ay ecrit sur le champ à Versailles pour obtenir la permission d'accepter. Dès que j'aurai recu reponse (quelle quelle puisse être) j'aurai l'honneur d'ecrire à Sa Majesté par son ministre, et de luy temoigner moi même, tous les sentimens dont je suis penetré, sentimens qui n'ont point attendu ses bienfaits, et qui ne finiront qu'avec ma vie. Mais ma reconnoissance souffre trop d'un delay dont je ne suis pas le maître. Oserois-je vous prier, Monsieur, de vouloir bien la peindre au Roy, aussi vive, aussi tendre, aussi respectueuse, & même, je l'ose dire, aussi desinteressée qu'elle est ? Je noublie point la promesse que j'ay faite à Sa Majesté d'aller mettre à ses pieds mes profonds respects, des que l'Encyclopedie pourra me le permettre ; & je ferai certainement tout mon possible pour hâter ce moment, auquel j'aspire de plus en plus. Tous les gens de lettres dont je suis connu, et toutes les p. 35 personnes qui ont pour moi quelque amitié, partagent deja ma reconnoissance, et celebrent la generosité du Roi ; car sans attendre la Reponse de Versailles jai cru devoir aux bontés de sa majesté de ne pas les laisser ignorer ; mon tendre et respectueux attachement pour Elle m'y engage, bien plus que mon amour propre ; et ceux qui sont les maîtres de ma fortune ne le sont pas de ma maniere de penser, et ne peuvent d'ailleurs que lui donner leur approbation. A Dieu, Monsieur, je ne puis trop vous repeter combien je suis touché des bienfaits du Roy, ni trop vous prier de vouloir bien être auprès de sa personne l'interprete de mes sentimens. Je ne doute point que je ne sois redevable de tant de marques de bonté de sa part à l'idée favorable que vous avez bien voulu lui donner de moy ; vous ne devez point douter non plus des sentimens de reconnoissance, d'estime et d'attachement que j'auray tou-p. 36jours pour vous. Je vous embrasse de tout mon coeur D'Alembert
à Paris ce 15 juin 1754
Je vous prie de faire mille complimens, de ma part à M. l'abbé de Prades, et de lui faire part avec la permission du Roy, de la grace dont il m'honore.