Sélection de lettres
|
|||||
    [Imprimé 1865] (affichée) | |||||
Correspondance complète de la marquise du Deffand avec ses amis, éd. M. [Adolphe] de Lescure, Paris, Henri Plon, 1865, p. 225-226
|
Formont (Paris) à D'Alembert (Paris)
p. 2254 décembre
Sous prétexte que vous êtes un des premiers hommes de l'Europe, vous vous donnez donc les airs, monsieur, de l'emp. 226porter sur un Normand, sur notre Bourdaloue ? Vous vous imaginez qu'il n'y a qu'à se présenter à l'Académie pour y être admis ; mais il faudrait pour cela qu'il n'y eût pas de duchesse de Chaulnes au monde. Apprenez que, malgré tous vos talents, vous n'auriez pas été reçu seulement à sa cour. Elle pense peut-être qu'il vous en manque quelques-uns qu'elle regarde comme indispensables à un grand homme. Elle a dit que vous n'étiez qu'un enfant : on entend cela ; elle croit que, même dans un sérail, vous traîneriez une éternelle enfance. Je ne le crois pas, au moins ; et je suis persuadé que vous vous tirerez toujours très-bien de ce que vous entreprendrez, même du compliment que vous allez faire à l'Académie : ce qui me paraît une opération encore plus difficile que celle de contenter une duchesse. Et ces six boules noires ? qui sont ces gens-là ? Six dévots apparemment, à qui les philosophes font peur ; comme si Newton n'avait pas commenté l'Apocalypse, et Locke l'Épitre aux Galates ! Le pauvre Trublet va donc retourner à Saint-Malo ? Jamais de l'Académie, toujours archidiacre : voilà assurément de quoi empoisonner la vie ; et c'est là le cas du refrain de madame du Deffand.
Sérieusement, mon cher ami, je suis ravi qu'on vous ait rendu justice. Je suis fâché, pour l'Académie et pour la nation, que vous n'ayez pas été élu par acclamation ; mais celle de toute la France et de toute l'Europe vous en récompensera bien. Je vous embrasse mille et mille fois.