L'affaire Tolomas

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L'affaire proprement dite commence le samedi 30 novembre 1754, avec la harangue latine du Père Tolomas, jésuite, à la rentrée des classes du collège de la Trinité, c'est-à-dire deux jours après l'élection de D'Alembert à l'Académie française, le 28 novembre (le parti encyclopédiste entrant à l'Académie, diront certains), et un mois et demi après la parution du tome IV de l'Encyclopédie, mi-octobre 1754. C'est bien Bourgelat qui met le feu aux poudres, dans sa longue lettre au ministre Malesherbes du 2 décembre 1754. Bourgelat y traite de plusieurs sujets, de ses articles pour l'Encyclopédie (dans le volume V à paraître), de l'aide qu'il faut apporter à la Société royale de Lyon (SRL) dans sa rivalité avec l'Académie des sciences et des belles-lettres de Lyon, et enfin du discours du Père Tolomas, membre de la SRL qui a « vomi un torrent d'injures contre l'Encyclopédie et les encyclopédistes ».

On sait que Malesherbes tenait à censurer les attaques personnelles mais à préserver la liberté d'opinion, et surtout à établir une différence entre les deux formes d'expression. On sait aussi que D'Alembert ne supportait pas les attaques personnelles, et on peut penser, d'après d'autres correspondances, que Bourgelat avait écrit à D'Alembert pour l'informer que Tolomas avait non seulement violemment attaqué les encyclopédistes dans leur ensemble, sur des thèmes classiques (l'Encyclopédie sape le pouvoir royal et la religion), mais également, plus particulièrement, l'auteur de l'article Collège comme sans père et sans biens.

Bourgelat n'est pas le seul à s'indigner, puisque Voltaire, alors à Lyon, écrit le 6 décembre à un avocat de Colmar, pour dénoncer le discours et l'insulte de Tolomas envers D'Alembert, le fameux « Homuncio cui nec est pater, nec res » (« le petit homme, qui n'a ni père, ni biens »).

Le climat est bien sûr électrique, l'Encyclopédie subissant attaque après attaque des jésuites, des jansénistes, des dévots depuis son premier tome. D'Alembert va donc faire pression sur la SRL pour obtenir réparation de l'affront de Tolomas.

Goiffon, un membre de la SRL, écrit au secrétaire de la SRL le 3 janvier 1755, pour l'informer du danger politique que représente l'affaire quant à la protection que la SRL espère du pouvoir. Le 30 janvier, D'Alembert écrit officiellement à la SRL son indignation et ses conditions, et le 28 février, cinq membres de la SRL démissionnent. Entre temps, les discussions vont bon train, et l'on peut prendre la mesure des influences de chacun. Tolomas se retirera de la SRL, mais celle-ci fusionnera en 1758 avec l'Académie de Lyon, à laquelle Tolomas appartenait toujours. Ce sont donc des Archives de l'Académie de Lyon que sont extraits la plupart des manuscrits que l'on peut visualiser ici (avec l'aimable autorisation de l'Académie de Lyon).

Elisabeth Badinter [1] pense que c'est en cette occasion que D'Alembert a gagné un ami sûr en Bourgelat, bien qu'on ait tenté de les brouiller (lettre du 7 avril 1755). C'est très probable, et il est également clair qu'à ce moment là, Bourgelat n'est pas encore un « frère » en lutte contre l'infâme. Il ne sera jamais un « frère » très proche dans le sens où l'emploie Voltaire comme D'Alembert, Diderot, Damilaville ou Condorcet, mais quand même un « frère » mineur, disons, quelqu'un d'utile, comme on va le voir, dans la circulation de la bonne parole. Les années suivantes, le rôle d'intermédiaire de Bourgelat, en particulier pour les affaires de librairie et de censure, s'accentuera.

Les documents qui ont subsisté de cette querelle nous permettent d'évaluer l'importance personnelle pour D'Alembert de ces attaques sur l'identité, mais plus généralement, le rôle joué dans sa pensée et dans la pensée moderne sur l'importance accordée aux qualités individuelles du savant qui ne peuvent être mesurées à l'aune de la filiation et du patrimoine.

Ce sont précisément ces qualités scientifiques qui légitiment le jugement de D'Alembert sur l'éducation.

De nombreux indices matériels que la navigation d'ORIGAMI permet de visualiser et de relier, pointent, ici l'extrême et nerveuse réécriture à laquelle D'Alembert s'est livré sur certains des brouillons des échanges relatifs à l'affaire Tolomas (et qui nous parvenus, signe que D'Alembert y tenait), là, l'impact de la querelle, publiée partiellement sous forme de brochure reprenant quelques unes des lettres dès 1755, surgissant dans les éloges que fera D'Alembert des savants qui ne doivent leur mérite qu'à eux-mêmes [2], puis commentée au xixe siècle dans la Revue du Lyonnais [3] comme une banale querelle littéraire.

Au passage, mentionnons que cette affaire a probablement renforcé la curiosité naturelle de Lalande, sur qui les talents de son professeur Tolomas avaient fait une vive impression, quant aux origines de D'Alembert [4].

S O U R C E S

[1] E. Badinter, Passions Intellectuelles, II, Fayard, Paris, 2002, p. 167. [2] I. Passeron, « D'Alembert : construction d'une identité scientifique au xviiie siècle », Jahrbuch für Europäische Wissenschaftskultur, Bd. 4 (2008), p. 11-34. Accès libre en ligne. [3] Revue du Lyonnais, 4, 1836, p. 192-196, « Querelle littéraire », « D'Alembert, le P. Tolomas et la Société Royale de Lyon », [auteur inconnu], qui reproduit 9 lettres. [4] F. Launay, article en préparation. [5] Brochure sans titre, BnF Nafr 3348, f. 259-263, [1755], in-4° de 6 p. ou 2 feuilles d'impression, qui reproduit 5 lettres.

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