Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)

Série V | Correspondance générale

Sélection de lettres

LETTRE 48.10   |   27 octobre 1748
D'Alembert (Paris) à Euler Leonhard (Berlin)

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f. 462rMonsieur,

M. de Maupertuis qui est arrivé icy en tres bonne santé, m'a remis Votre lettre du 28 septembre en reponse aux deux dernieres que j'ay eu l'honneur de vous écrire. Je souhaite que vos occupations vous permettent d'ajouter encore de nouveaux degrés de perfection a votre excellent memoire sur la Theorie de Saturne, que l'academie a couronné avec tant de justice. Je n'ay jamais pensé qu'on ne put faire abstraction de l'excentricité de l'orbite de Jupiter & de celle de Saturne, j'ay seulement cru, & je le crois encore, que si les deux orbites sont circulaires, en faisant abstraction de l'action mutuelle des deux Planetes, cette action mutuelle doit leur donner une petite excentricité ; & je ne vois pas pourquoy on n'a pas egard à cette excentricité, puisqu'on a egard à d'autres termes de l'Equation, qui empechent que l'orbite ne soit exactement circulaire. Au reste il est vray, comme je crois vous l'avoir marqué, que cette meprise, si c'en est une, n'inflüe point sur le reste de l'ouvrage, ou vous avés egard à l'excentricité de l'orbite de Saturne ; j'ay un peu travaillé à cette Theorie depuis la dernière lettre que j'ay eu l'honneur de vous ecrire, & je crois qu'il est impossible d'eviter que dans la seconde correction on ne rencontre des termes assés grands, mais ces termes ne seront jamais des arcs de cercle, cependant ils sont fort petits, comme je l'ay remarqué, dans la f. 462v seconde correction de l'orbite de la Terre, mais par une raison qui n'a pas lieu dans celle de Saturne, j'ay aussy une methode assés commode pour trouver le developpement de la formule \((1-g\cos.\omega)^{-\mu}\) ou d'une autre qui s'y rapporte, ainsy que pour determiner le mouvement des apsides de Saturne, mais cela seroit trop long à detailler pour que je vous en fasse part icy. J'ay encore examiné de nouveau la Theorie de la Lune, & je crois comme vous qu'il peut y avoir dix ou douze minutes de difference entre la Theorie & les observations, mais je doute que cette difference puisse etre plus grande & je crois meme qu'il est possible de la diminuer, je trouve aussy \(12\) à \(13{'}\) d'erreur sur le lieu du nœud, l'Equation principale qui est d'environ \(1^\circ \frac{1}{2}\) s'accorde parfaitement avec les Tables, mais il y a quelques autres Equations assés sensibles qui pourroient s'en ecarter un peu plus. Je suis bien aise que vous ayés trouvé la distance de la Lune parfaitement d'accord avec la Theorie, cependant je ne scais comment vous avés pu vous en assurer sans aucun doute, car cette distance depend en partie de la masse de la Lune, qui n'est pas trop bien connüe. Je suis bien charmé aussy que vous soyes content de mon travail sur la resistance des fluides au mouvement des Planetes. Je me flatte que vous voudrés bien examiner avec attention mes dernieres objections sur les logarithmes imaginaires. Je n'y ay plus repensé depuis, mais je suis toujours dans le doute, & je ne me rendray qu'a des demonstrations bien rigoureuses, comme vous meme, Monsieur, feriés à ma place. M. Bousquet a fait une grande faute d'inserer votre note sur les rebroussemens de la seconde espece dans le Texte de l'ouvrage. A votre place, j'aurois mieux aimé refondre cet endroit là, & y faire mettre un carton ; car il est certain que cela causera de l'embarras à tous ceux qui vous liront. Au reste je crois toujours que la courbe \(y=\surd{x}+\surd[4]{x^3}\) n'a pas f. 463r de point de rebroussement, & je le prouve par l'argument même que vous en apportés. Soit \(y^4-2xyy-4xxy+xx-x^3=0\) que je change ainsi \(y^4+2xyy+xx=x^3+4xyy+4yxx\) donc \(yy+x=(x+2y)\surd{x}\) ou \(yy+x=(x+2y)\times -\sqrt{x}\) ; donc on a ces deux Equations \(yy-2y\surd{x}+x=x\sqrt{x}\) & \(yy+2y\surd{x}+x=-x\surd{x}\), donc \(y-\surd{x}=\pm\sqrt{x\surd{x}}\) ; & \(y+\surd{x}=\pm\sqrt{-x\surd{x}}\) ; d'ou il paroit d'abord que \(y=\surd{x}\pm\sqrt{x\surd{x}}\) & \(y=-\surd{x}\pm\sqrt{-x\sqrt{x}}\), la seconde de ces Equations ne donne à la verité que des valeurs imaginaires à \(y\), mais remarqués je vous prie que l'Equation \(y^4-2xyy-4xxy+xx-x^3=0\) n'est venüe qu'en supposant que dans l'equation \(y=\surd{x}\pm\sqrt{x\surd{x}}\), les deux \(\surd{x}\) soient de meme signe, or cette supposition n'est pas exacte car la valeur de \(\sqrt[4]{x^{3}}\) est independante du signe de \(\sqrt{x}\). Vous me dirés peut etre qu'en prenant immediatement pour l'Equation de la courbe \(y^4-2xyy-4xxy+xx-x^3=0\) & non pas \(y=\surd{x}+\sqrt[4]{x^{3}}\) on trouve un point de rebroussement de la seconde espece. En presentant la chose de cette facon là, elle me paroit beaucoup moins sujette à contestation, mais en ce cas il faudroit dire que l'Equation \(y=\pm\surd{x}\pm\sqrt[4]{x^{3}}\) appartient à deux courbes differentes, ce qui est assés singulier. Au reste soit que cette courbe ait un point de rebroussement ou non, il est certain qu'il y en a, comme je l'ay prouvé par \(y=x^2\pm\sqrt{x^5}\). Je liray avec beaucoup de plaisir le memoire que vous avés fait sur cette matiére, à laquelle je n'ay jamais pensé que tres peu, & par hazard.

J'ay l'honneur d'etre avec la plus parfaite consideration

Monsieur
Votre tres humble et tres obeissant serviteur

D'alembert

Paris ce 27 oct. 1748

f. 463vA Monsieur
Monsieur Euler directeur de la classe mathematique de l'academie Royale des sciences & membre de celle de Petersbourg
A Berlin