Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)

Série V | Correspondance générale

Sélection de lettres

LETTRE 50.05   |   22 février 1750
D'Alembert (Paris) à Euler Leonhard (Berlin)

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f. 109rMonsieur,

La lettre que vous m'avés fait l'honneur de m'ecrire du 3 janvier dernier m'a fait d'autant plus de plaisir, que j'avois appris par des lettres venües d'Allemagne, que vous n'etiés nullement content de mon dernier ouvrage sur la precession des Equinoxes. Je vois par votre lettre que votre critique ne tombe point sur le fond de l'ouvrage puisque vous arrivés aux memes conclusions que moy, mais tout au plus sur la manière dont j'ay resolu le Probleme, & sur l'application que je fais de mes formules aux observations.

Quant au premier de ces deux chefs, je vous repondray 1° que j'aurois pu me passer d'equations differentio-differentielles, puisque je n'avois qu'à substituer les vitesses aux Espaces parcourus, car soit \(\frac{d\varepsilon}{dt}=u\), et \(\frac{d\pi}{dt}=v\), j'aurois eu \(dudt\) au lieu de \(dd\varepsilon\) et f. 109v \(dv\,dt\) au lieu de \(dd\pi\) dans les formules \(S\), \(T\), de l'art. 43 de mon ouvrage, de sorte que ces formules auroient eté des differentielles du 1ier  degré ; mais comme il s'agit icy de trouver les Espaces memes \(\varepsilon\) et \(\pi\) et que connoissant les vitesses \(u\) et \(v\) il m'auroit fallu une seconde integration pour avoir les Espaces, il me semble que je n'aurois rien gagné à abbaisser mes Equations, & que cette plus grande simplicité n'auroit été qu'apparente. 2° Ces Equations \(S\), \(T\), ainsy que les equations \(Y\) & \(Z\) qui en derivent, quoy qu'elles soient du 2.d degré, sont neanmoins traitées dans l'ouvrage comme du 1ier, puisque je fais voir art. 52 que l'on peut negliger surement les termes où \(dd\pi\) et \(dd\varepsilon\) se rencontrent, et en effet dans la seconde solution (art. 116) on voit que les Equations ne sont que du 1ier degré, parce que dans cette solution j'ay negligé les termes tres petits, au lieu que les formules de la 1ere sont à la rigueur. A l'egard de la manière dont j'ay resolu ce Probleme, j'avoüe qu'elle est compliquée, mais je crois pourtant qu'elle est aussy simple qu'une question de cette Espece peut le demander, question qui me paroit le probleme le plus difficile de l'astronomie physique, par la grande quantité de mouvemens qu'il faut considerer à la fois, et dont je crois m'être heureusement f. 110r demelé, après avoir passé par bien des paralogismes.

Pour ce qui est de l'application de mes formules aux observations, je ne vois pas sur quoy peuvent tomber vos difficultés. Il me semble au contraire que vous n'en trouverés aucune si vous voulés lire avec attention l'art. 52 de mon ouvrage. Je suppose que le nœud etant en Aries le pôle soit en ♋, or cette supposition est evidente par elle meme puisque le pôle est toujours à 90° de ♈, c'est a dire de l'intersection de l'Equateur et de l'Ecliptique, & qu'il faut bien que le nœud passe par cette intersection une fois en 19 ans ; cela posé tout le reste est demontré en rigueur.

Depuis que j'ay achevé cet ouvrage, j'ay été distrait par d'autres occupations qui m'ont empêché de me remettre à la Lune avant le mois de Decembre dernier, et par tout le travail que j'ay fait, et qui est très considerable, je vois que les mouvemens de la Lune s'accordent tous aussi bien qu'on le peut desirer, avec la Theorie de M. Newton. Je dis aussi bien qu'on le peut desirer, parce que les differences sont assés petites pour pouvoir etre attribuées ou aux negligences du calcul, ou aux observations même. Je ne scais pas cependant si je concourray pour le prix de l'academie de Petersbourg, parce qu'un an me paroit bien court pour trouver le lieu de la Lune par cette Theorie quam exactissime.

f. 110vJe crois qu'il faut pour cela bien du tems, & je ne desespererois pas d'en venir à bout, peut etre même assés promptement, si j'avois un recueil de bonnes observations. On dit qu'il y en a dans les tables de M. Halley qu'on vient de publier, & que j'attends. Du reste il y auroit là dessus bien des reflexions à faire, mais elles ne pourroient avoir leur place dans cette lettre. J'ay l'honneur d'etre avec une parfaite consideration

Monsieur
Votre très humble & très obeissant serviteur D'Alembert

à Paris ce 22 fev. 1750.

A Monsieur
Monsieur Euler, des academies de Berlin, de Petersbourg &c &c.
A Berlin