Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)

Série V | Correspondance générale

Sélection de lettres

LETTRE 50.14   |   20 novembre 1750
Cramer (Genève) à D'Alembert (Paris)

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f. 77rA Mr. D'Alembert. 20 nov. 1750

J'ai crû devoir attendre que vous fussiez surement de retour à Paris pour vous répondre, mon cher Monsieur. Je l'aurois pourtant fait plutôt sans la maladie de mon frère ainé, que j'aime comme s'il n'etoit pas mon frère & mon ainé. ----- Les mots d'infinis & d'infiniment petits ne sont, comme vous le remarqués fort bien, que des termes propres à éviter la circonlocution des anciens Géomètres, qui venoient au même but par le detour, neque majus, neque minus, ergo aequale. Cela étoit plus clair & plus demonstratif, mais plus long & faisoit marcher le raisonemt plus pesamemt, de sorte qu'avec cette periphrase, il auroit été, je crois impossible, à la tête la plus forte, de suivre un raisonement compliqué d'infinis, tel par ex. que vos calculs sur la précession des équinoxes. Mais après avoir trouvé la chose, en raisonnant à la moderne, on peut la demontrer à l'ancienne mode, si l'on ne craint pas la longueur. Je me souviens d'en avoir fait un Exemple, il y a plusieurs années, dans un assés beau Theorème qui dit, que le plus grand Polygone qu'on puisse former avec un plein nombre donné de cotés donnés, c'est celui qui est inscriptible au cercle. La preuve n'en est pas bien difficile par le calcul des inf. petits : mais comme il me semblait absurde de prouver une Propos. elementaire par les infinis, j'en cherchai une démonstration, more veterum & je la trouvai terriblement longue.

Votre definition du calcul differentiel me parait très juste, & très elegante dans sa brieveté : mais il faudroit lui donner quelque explication si vous la proposiez à un commençant.

Il m'est tombé dernierement entre les mains un ouvrage Anglois d'un nommé Paman, où il y a ce me semble une idée assés heureuse là dessus. f. 77v Il emploie ce qu'il apelle Maximominus & Minimomajus. Le maximominus de \(A\), c'est de toutes les grandeurs d'une certaine espèce, moindres que \(A\), celle qui est la plus grande. Et son minimomajus, est de toutes les grandeurs d'une certaine espèce plus grandes que \(A\), celle qui est la plus petite. Par ex. la Tangente de la courbe \(AC\) au point \(A\) est la droite \(AT\) qui fait avec l'arc \(AB\) le plus petit de tous les angles rectilignes, plus grand que le mixtiligne \(CAB\). Cette idée, dont vous apercevez sans peine le dévelopemt, m'a semblé fort heureuse, mais l'autheur l'a très mal maniée. Je crois vous avoir oui dire que vous aviez touché la matière de l'Infini dans le Dictionnaire Encyclopedique. A propos, où en est cet ouvrage. Je souscris d'avance à ce que vous avez dit sur ce sujet, Il demande surtout le tour d'esprit qui consiste a saisir les choses de la maniere la plus simple & la plus vraie ; et vous avez ce talent, qui est fort rare, a un point où peu de personnes le possedent.

Voulez-vous me permettre de passer de l'infini mathematique à l'infini geometrique, & de vous demander si vous croiez qu'il existe un infini actuel, si l'espace est infini, c.a.d. sans bornes. Je trouve des difficultés invincibles à affirmer le oui ou le non : cependant je ne vois pas de milieu entre fini & infini, car de dire avec Descartes que l'etendue est indefinie c'est éluder la question & repondre à autre chose qu'a ce qu'on nous demande.

Sur les series divergentes, telles que \(A + Bx + Cx^2+ Dx^3+ \textrm{&c}\). (où \(x>1\)) : je conviens que la loi des coëfficiens \(A\), \(B\), \(C\), \(D\), &c. peut être telle que, si \(x\) est fort peu au dessous de l'unité, la serie paroisse longtems convergente & que cela peut etre en quelques occasions fort difficile à demêler : mais il suffit pour la pluspart des usages des series ; (du moins pour tous ceux que j'en ai tirés, qui se raportent aux Points singuliers & aux Branches infinies des courbes) qu'elles convergent en [...].