Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)

Série V | Correspondance générale

Sélection de lettres

LETTRE 53.20   |   19 octobre [1753]
D'Alembert (Paris) à Du Deffand (Vichy Chamron) Mme (Nanteau)

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f. 38rà Paris 19 octobre

Votre lettre, madame, est venüe fort à propos, car j'étois en peine de vous, et je vous aurois meme ecrit, si je n'avois attendu de vos nouvelles. Vous aviés ecrit à Mr. de Macon une lettre plus noire que le Tartare, et plus triste que les Champs Elisés. Je m'imagine que votre secretaire est mieux, car vous ne m'en parlez pas. Ne vous effarouchés point trop de ce que je vous ai mandé sur l'article Chronologique. Je crois bien que le P. Henault ne m'en remerciera pas. Il le devroit pourtant ; car je dis que nous avons en notre langue plusieurs bons ouvrages en ce genre, le sien, celui d'un nommé Macquer (qui vaut mieux quoique je ne le dise pas) et celui de deux Benedictins (qui vaut mieux que les deux precedens, mais que je me contente de nommer). Il fera sur l'academie tout ce qui lui plaira. Ma conduite prouve que je ne desire point d'en être, et en verité je le serois sans lui si j'en avois bien envie, mais le plaisir de dire la verité librement, quand on n'outrage ni n'attaque personne, vaut mieux que toutes les academies du monde, depuis la françoise jusqu'à celle de Dugast. Il m'a ecrit sur ma preface, une lettre de compliment f. 38v fort entortillée, et ne m'a pas dit ny fait dire un mot de ce qu'il vous a mandé. L'affaire du journal des savans est claire pour les gens de lettres, & pour les personnages interessées, et voila ce me semble tout ce qu'il faut pour cet endroit là. A l'egard des critiques, la raison qui m'a fait m'etendre, c'est que plusieurs nous ont eté faites, que quelques unes avoient fait impression dans le public, qu'elles regardent un ouvrage important sur lequel la nation a les yeux, & qu'enfin aucune ne tombe sur moy personnellement. Si elles m'avoient regardées, j'aurois eté plus court ou je n'aurois rien dit. Je suis au reste tres flatté que vous soyés contente de cet ouvrage ; des gens qui se disent mes amis, comme Condillac & Grimm, n'en parlent pas de même, à ce qu on m'assure ; mais je scais d'ou cela vient ; ils ne sont pourtant pas faits ny l'un ny l'autre pour être l'Echo d'un oison ; cependant je leur pardonne, s ils ont eté plus heureux ou plus sots que moy ; mais je ne leur envie ny leur bonheur ny leur docilité.

Nous irons surement à Fontainebleau la semaine prochaine, & nous y resterons peu. Je vous manderay à point nommé le jour de notre arrivée. Je verrai Quesnay, et presseray de nouveau f. 39r pour l'abbé Sigorgne. Je jouis actuellement d'une tranquillité qui me rend fort heureux. Je mene une vie fort retirée, et je m'en trouve à merveille. Il ne me manque que de vous voir. Ne vous inquiettés point de ma Quakrerie, elle ne sera jamais pour vous, au contraire, plus on est quakre avec les gens qu'on meprise, plus on est sensible à l'amitié des personnes qu'on aime et qu'on estime. Adieu, madame, Duché me charge de vous assurer de son respect et de son attachement, et pour moy, on ne sauroit rien ajouter à tout ce que je sens pour vous.

Made. d'Aumont, & le vicomte de Chabot sont mort[s de la] petite verole. Cela vous fait-il quelque chose ? Je ne scay [si vous] les connoissiés.

f. 39vA Madame
Madame la Marquise du Deffand chés Mr Lallemant de Betz, au Chateau de Nanteau par Nemours
A Nemours.