Sélection de lettres
|
|||||
    [Manuscrit autographe] (affichée) | |||||
Bibliothèque municipale à vocation régionale, L'Alcazar, Marseille, Ms. 2145, n°1
|
D'Alembert (Paris) à Duché (Montpellier)
f. 1rà Paris ce 27 nov. 1753
J'ay lu, mon cher Duché, votre lettre à Made. du Deffand, à Made. Geoffrin, & à l'abbé de Canaye, qui vous aiment tous à la folie & qui me chargent de vous le dire et de vous le repeter. Le Chevalier de Valory, Combalusier, Lavirotte, que diable scay-je moy, tous les gens qui vous connoissent, le coin de la reine à la tête, me chargent de vous en dire autant. Ce pauvre coin de la reine est actuellement dans une alternative de joye et de tristesse. Les bouffons donnent un intermede qui reussit au point que les femmes même y viennent, mais ils ressemblent aux cignes qui, dit-on, ne chantent jamais mieux que la veille de leur mort, car il paroit que le parti est pris de les renvoyer. Je ne le croiray pourtant que quand je les verrai partis. Rousseau vient de donner une lettre contre la musique francoise, qui peut bien avoir acceleré leur malheur. Cette lettre est excellente, mais aussi pleine de fiel que de raisons ; le dechainement contre elle est affreux, c'est bien pis que contre la prophetie. Lisés pourtant cette lettre, car elle en vaut bien la peine. A entendre les partisans de la musique francoise on croiroit qu'il ne s'agit pas moins que de la destruction de l'Etat ! o miseras hominum mentes ! L'intermede des bouffons f. 1v s'appelle Bertholde à la Cour, ce Bertholde est un quakre, nouvelle raison pour que nous nous y interessions. Il dit & chante des ariettes admirables, bonnes mêmes par les paroles. Mais savez vous qui m'a etonné ? C'est le chatré, il est surprenant qu'il ait fait tant de progrès. Vous ne le reconnoitriés pas. Il est vray aussi que ce qu'il chante est divin. J'oubliois de vous dire que la fureur à la cour contre Rousseau est si excessive et par consequent si ridicule, que M. le Comte d'Argenson n'a pas pu s'empêcher de dire, qu'il falloit qu'il y eut de l'atheisme dans tout cela. Le President Henault se trouve mal quand on luy en parle. A propos de President, le Montesquieu m'a ecrit une assez jolie lettre. Il ne veut point de democratie et despotisme mais il est tenté dit il de prendre l'article Goût ? Vous ne vous en seriés jamais douté ny moy non plus. On a donné à la Cour Atys, qui a reussi, comme vous croyez bien ; Made. de Talmont, qui m'aime tant, mais qui par malheur pour moy aime aussi la musique francoise etoit a la representation penetrée d'Enthousiasme, & de l'index battant faux la mesure, crioit bravo, lorsque l'on detonnoit. Elle etoit couverte d'un grand manteau noir, & avoit sa coeffe rabbatüe sur son visage ce qui a f. 2r fait dire qu'elle avoit l'air de la veuve de Lully. Eh bien Kismi n'est donc plus grosse, j'en suis ravi, mais etes vous bien sur que le marchand de bois soit louche ? Je ne peux pas croire cela d'un homme qui voit si bien. L'academie francoise elira samedy prochain Bougainville, dont Duclos est enragé, mais il y a pis, car toute la cour est aussi dechainée contre luy à cause de l'opposition qu'il a voulu mettre à cette Election. Il faut apparemment que Bougainville soit le representant de la musique de Lully. Oui dà, il est asmatique et ereinté, cela pourroit bien être. J'ay recu hier au soir une lettre anonyme signée xxxy, ecrite à Paris certainement, datée de Berlin le 12 nov. et venüe par la poste d'Ecouis. Je crois que c'est une femme qui m'ecrit, je soupconnerois le Chevalier ou quelque autre espece pareille. C'est un compliment de condoleance sur le depart des bouffons, & de joye sur la retraite de Rebel et de Francœur, car vous savés qu'ils n'ont plus l'opera. On avoit envie de me persifler dans cette lettre, mais cela est plat et de mauvais goût. Si je savois ou logent ces gens là, f. 2v je leur ecrirois que je me chargeray de leurs lettres anonymes s'ils veulent, et que comme le P. Berthier je m'écriray à moy même. Elles seront mieux de ma facon, même quand elles me regarderoient. Diderot va donner son livre sur la physique. J'en attends aujourd'hui un exemplaire. Je l'ay fort exhorté à ne rien ecrire de quelque tems sur la musique ; ce seroit cent fois pis que les pensées philosophiques. Il etoit vray que la vie de J. C. par le P. Berruyer paroissoit, lorsque vous m'en avez parlé. Il y a a la tête une grand diable de preface contre les incredules, [passage illisible] les incredules à la religion pour pendre les incredules en musique. Il dit que Zacharie quoique muet, trouva moyen de faire entendre par signes à sa femme qu'il luy avoit fait un enfant. Les Jesuites ont desavoué l'ouvrage. Reste à savoir si on les croira. Adieu, mon cher, aimez moy, ecrivés moy, comptés sur la promesse que je vous ay faite de vous écrire souvent, et surtout revenez, et promtement, & au plûtôt. Made. du Deffand me charge de vous dire qu'elle est un peu jalouse de ce que vous aimés Made. Geoffrin autant qu'elle. J'ay diné Dimanche avec elle chéz M. de Macon, je dine aujourd'huy chés Vernage. Iterum vale et me ama.
53.26  |  27 novembre 1753
D'Alembert à Duché
53.29  |  [fin 1753]
D'Alembert à Duché
54.02  |  20 février 1754
D'Alembert à Duché
54.03  |  20 avril [1754]
D'Alembert à Duché
54.04  |  29 mai 1754
D'Alembert à Duché
75.73  |  21 octobre 1775
D'Alembert à Duché
78.44  |  5 septembre [1778]
D'Alembert à Duché
70.101  |  13 octobre [1770]
D'Alembert à Duché