Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)

Série V | Correspondance générale

Sélection de lettres

LETTRE 62.40   |   7 décembre 1762
D'Alembert (Paris) à Bernoulli Daniel (Bâle)

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copie dans les procès-verbaux de l’AdS, p. 299-301 « M. D'Alembert a lu la réponse suivante à M. Bernoulli que l'académie m'a chargé de communiquer à ce dernier et de lui demander s'il juge à propos que son mémoire paraisse en 1758 » [note de Grandjean de Fouchy] .

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f. 1r 7 Decembre 1762

M. Bernoulli se plaint dans une lettre qu'il a ecrite à l'academie, de ce que j'ai attaqué son mémoire sur l'inoculation avant que ce memoire fut imprimé. Ma reponse à ce reproche est bien simple ; mon memoire sur l'inoculation a eté lu à l'academie le 12 nov. 1760, j'y ai cité même avec éloges, celui de Mr. Bernoulli, comme anterieur au mien, & ces deux memoires auroient du etre imprimés, chacun avec sa datte, dans le volume de 1760. Mais l'impression de nos memoires etant prodigieusement retardée, et n'ayant pas jugé a propos d'attendre que le mien parût au bout de six ans de lecture, je me suis determiné à l'imprimer avec sa datte dans mes opuscules imprimés avec l'approbation & sous le privilege de l'academie. Ce n'est pas ma faute si l'Ecrit de Mr. Bernoulli n'a pas paru plutôt. Au reste il importe fort peu à l'inoculation (qui est ici la seule chose vraiment interessante pour le public) que j'aie combattu les idées de Mr. Bernoulli avant ou après l'impression de son mémoire ; il f. 1v importe seulement de savoir si j'ai tort ou raison. Si j'ai tort, Mr. Bernoulli est très en état de se defendre, & son memoire n'y perdra rien ; si j'ai raison, il est à portée de faire usage de mes remarques, & son memoire pourra y gagner.

Quant à present, Mr. Bernoulli se borne pour toute reponse à declarer poliment que je suis très peu au fait de la matiere et des phenomenes, aussi bien que de la théorie des probabilités que j'y mêle ; je pourrois lui faire le même compliment, car je ne vois par pourquoi il en auroit le droit exclusif  ; mais persuadé, comme je le suis, que dans tous les calculs sur l'inoculation de la petite verole il n'a point en effet saisi le veritable etat de la question, j'ai mieux aimé me contenter de le prouver avec politesse, que de me borner comme lui, à le dire d'une maniere injurieuse. Ce ton, qu'il me soit permis de le remarquer, est d'autant plus déplacé de la part de Mr. Bernoulli, que toutes les fois que j'ai pris la liberté de ne pas etre f. 2r de son opinion, & en particulier dans l'Ecrit dont il se plaint, je l'ai toujours combattu avec les égards que lui devois jusqu'à sa lettre, & que je me dois encore à moi même depuis qu'il m'en a manqué.

Mr. Bernoulli pretend que sans lui je n'aurois pas pensé à assujettir l'inoculation, au calcul comme si j'avois envisagé cette question sous le même point de vue que lui, ou même sous un point de vue approchant. Au reste plusieurs de mes confreres peuvent me rendre ce témoignage, que j'étois occupé de l'inoculation longtemps avant que d'en écrire, et avant que Mr. Bernoulli eut rien envoyé à l'academie sur ce sujet. Il ajoûte dans sa lettre, que ma théorie est prise de la sienne ; ce reproche est d'autant plus surprenant que ma théorie tend au contraire a prouver que toute celle de Mr. Bernoulli porte à faux. Il me reproche de m'etre renfermé dans une analyse abstraite ; c'est que je n'ai pas cru, comme lui, devoir établir de grands calculs sur des hypotheses vagues, dans une matiere ou il s'agit de la vie des hommes. Quand nous aurons les faits qui nous manquent, & quand on aura trouvé f. 2v une methode pour appliquer la théorie des probabilités à l'inoculation, methode qui nous manque aussi, comme je crois l'avoir très clairement prouvé, alors on pourra, dresser des tables arithmétiques vraiment utiles sur les avantages ou les inconveniens de l'insertion de la petite verole ; jusques là, je crois que des calculs prématurés repandroient peu de jour sur cette matiere.

Mr. Bernoulli se plaint que je l'ai attaqué en plusieurs autres occasions, & il assure que j'ai toujours eu tort, quoiqu'il n'ait pas daigné me repondre. Cela est bientôt dit ; mais si mes objections meritoient quelque reponse, Mr. Bernoulli auroit mieux fait de les refuter ; si elles ne lui en ont pas paru dignes, pourquoi s'en plaint il si amerement, d'autant plus que ces objections, je ne saurois trop le repeter, ont toujours eté proposées de ma part avec tous les égards possibles ?

à l'académie le 7 decembre 1762

D'alembert