L'affaire Tolomas

  

OCTOBRE 1753 - JUIN 1755

2 décembre 1754

Lettre de Bourgelat à Malesherbes

f. 253rLyon le 2e xbre 1754

J'eus l'honneur de vous adresser, Monsieur, par le courrier du mardi de la semaine passée un enorme paquet pour Mrs les Editeurs de l'Encyclopédie. Il me restoit quelques articles pour completter la lettre Q, je prendray la liberté de vous les envoyer a mesûre que je les termineray, ce que j'aurois déja fait, si pour les achever je n'avois pas besoin du crayon d'un de mes amis d'une part fort paresseux et de l'autre accablé d'affaire. je vous supplie de le faire remettre a M. d'Alembert avec la lettre cy jointe.

Je ne sçay si vous vous rappellés que dans les tems orageux auxquels le calme a succedé je vous conjuray d'aider de votre credit la Société Royale de Lyon qui a obtenu de S. M. des lettres patentes, mais qui a essuyé des difficultés de la part de Monsieur le Procureur genéral lorsqu'il a eté question de les faire enregistrer. Je vous représenteray alors les motifs de ces obstacles. L'académie des sciences et Belles lettres plus ancienne que la Societé royale s'est opposée sur le fondement de cette ancienneté a ce que les lettres f. 253v de celles cy fussent confirmées par un enregistrement. Elle a objecté que la Societéroyale n'etoit composée que d'artistes quoiqu'elle soit classée comme l'academie royale des sciences, et elle a prétendû que si on l'en enregistroit des patentes du moins ne devoit-on le fait qu'en ajoutant au titre de societé royale que S. M. luy a donné le mot des arts. Voila le nœud de la difficulté. J'ose vous protester, Monsieur, sans partialité que le corps pour lequel je m'interesse est d'une utilité veritable. Ses membres ne perdent point leur temps a disserter eloquemment sur des points inutiles, l'interêt et l'avantage du public sont leur unique objet et j'ay promis a M. d'alembert un Memoire sur le mot Pressoir traité par l'un d'eux avec toute la sagacité et toute la profondeur imaginable et digne d'occuper une place dans l'Encyclopédie. Vous etes, Monsieur, le protecteur des gens de lettres, tous ont un droit sur vous et ceux cy parmi lesquels il est deux ou trois genies superieurs dans leur genre implorent f. 254r votre protection. On n'attend même que cet enregistrement pour fonder des prix pour livrer des memoires a l'impression et pour justifier, en un mot, vos bontés. Voudrés vous bien, Monsieur, secourir en la circonstance d'une agression toujours injuste des qu'elle n'a d'autre source qu'une basse et servile jalousie des personnes qui se dégouteroient aisément d'un travail qu'ils aiment et qu'ils cherissent, s'ils ne trouvoient en vous un mecene dont le credit ranimera inevitablement leur émulation et leur courage. Vous me fites dans le temps la grace de me mander que s'ils le desiroient sans attendre le retour du Parlement vous parleries vivement a Monsieur le procureur genéral, ils preferent de patienter jusques a des momens plus tranquilles, nous y sommes parvenûs, et ils sont venûs en corps me presser de vous rappeller la grace que vous leur aviés promise, j'ose donc vous interceder aujourd'huy, leur merite vous sollicitera bientôt pour eux.

Samedi passé les jesuites de Lyon firent publiquement une incartade singuliere. J'ay l'honneur de vous envoyer le programme qu'ils ont debités il est d'autant moins suspect qu'il est signé de la main même du professeur f. 254v de rethorique qui vomit pendant cinq quart d'heures en tres mauvais latin un torrent d'injures contre l'Encyclopedie et tous les encyclopédistes. Ils avoient déja preché plusieurs fois le carême passé contre cet ouvrage, mais ils ont jugé a propos de casser les vitres. Tous les autheurs qui travaillent et qui y concourent sont des gens que l'eglise et le gouvernement devroient proscrire ; ils sont sappés la religion jusques dans ses fondemens, ils ont osé attaquer l'authorité royale, ils sont des corrupteurs, publics des moeurs. Des journalistes faits pour dominer la republique des lettres et pour maintenir le bon ordre qui doit y regner relevent toutes les fautes dont sont entachés les productions de l'esprit. Ils demontrent que ces autheurs sont des plagiaires et s'aproprient le systême de Bacon, ils font apercevoir une multitude d'inepties qui farcissent leur travaux. Sur le champ tout est en feu. Les encyclopedistes ont la temerité d'attaquer de front une societé qui a la possession immémoriale des sciences, leur livre enfin est suspendû. On ne scait par quelle fatalité et par quelle protection, il a reprit faveur. Non Noves hominum. Ces mêmes encyclopédistes portent le poignard dans le sein de ces hommes voüés par etat a l'instruction f. 255r et a l'education du genre humain, Totius Terrae, magistrats, c'est a vous a terrasser ces geants audacieux, et c'est a nous a venger vos bienfaits. Apres une telle declamation, le P. Tholomas se fait un fantôme pour avoir le plaisir de le combattre. Il prétend que M. D'alembert veut qu'on bannisse les colleges en entier, que deviendront, dit il, cette foule d'hommes a qui nous donnons des instructions gratuites ? Medecins, avocats, magistrats, vous tenés tout de nous, que scauriés vous, hommes scavans et immortels si nous ne vousavions eclairés, vous seriés dans les tenebres. Peres, meres, enfans, princes, soulevés vous donc contre des monstres qui nous bravent, et réclamés l'authorité du souverain pour les anéantir et les détruire. De là le P. Tholomas pérore contre les divisions de l'article college qu'il tronque avec toute la bonne foy d'un jésuite et enfin, car c'est perdre mon temps et vous ennuyer que de le suivre davantage, il f. 255v finit par ce beau trait qu'il lance contre M. D'Alembert confierés vous l'education des hommes a un homme cui nec pater est, nec res. voila, Monsieur une legere esquisse du tableau que les jesuites ont fait des encyclopedistes,il est bon que vous en soyés instruits, la guerre est ouverte et on doit sans doute nous passer plus aisément ce que nous pourrions dire à leur gloire. Quand a moy, il me paroit juste qu'on me permette de les relever dans des circonstances ou on ne scauroit les epargner. C'est la seule recompense que je demande et je me livre a l'encyclopedi avec plus de plaisir que jamais.

recevés, je vous suplie, Monsieur les assurances du respectueux attachement avec lequel je suis,
Monsieur

Votre tres humble et
tres obeissant serviteur

Bourgelat

Oserois je vous prier de me rappeler dans le souvenir de Monsieur de la Ferriere et de mon cher disciple.

a u t r e   v e r s i o n   d u   d o c u m e n t
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