Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)
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La Science Populaire

19 mai 1881
(n° 66) p. 1042-1043

D'ALEMBERT

Jean Le Rond d'Alembert, fils naturel du chevalier Destouches et de Mme de Tencin, naquit le 16 novembre 1717, à Paris. Abandonné le jour même de sa naissance, il fut trouvé sur les marches de Saint-Jean-le-Rond ; placé alors chez la femme d'un vitrier, il passa dans cette condition les premières années de sa vie. Tendrement aimé par sa mère adoptive, d'Alembert ne fut pas complètement privé des joies du foyer ; aussi garda-t-il pour celle qui l'avait adopté une véritable reconnaissance.

On raconte que sa mère, après ses premiers succès, désirant se rapprocher de lui, le fit prier de venir la voir ; d'Alembert ne se rendit à cette invitation qu'avec répugnance ; sa nourrice l'accompagne. Le jeune homme fut très froid ; Mme de Tencin, déconcertée, lui dit : " Mais je suis votre mère !" Vous, ma mère ! Non : ma mère la voici, je n'en connais point d'autre. Ce disant, il se jeta dans les bras de la bonne femme qui l'avait élevé et l'embrassa en pleurant. Et, comme nous le disions tout à l'heure, il aima toujours cette femme, habita longtemps avec elle ; devenue veuve et ayant perdu le peu qu'elle avait, d'Alembert tint la promesse qu'il lui avait faite de ne jamais l'abandonner.

Né mathématicien, il n'attendit pas la maturité de l'âge pour montrer ses talents. A dix ans, le professeur auquel il avait été confié déclara n'avoir plus rien à enseigner. Alors on le fit entrer au collége Mazarin où il acheva ses études avec distinction ; à sa sortie, son penchant pour la géométrie se révéla tout à fait.

Nous ne parlerons ici, de d'Alembert qu'en sa qualité de mathématicien.
En 1739, à vingt-deux ans, il présenta à l'Académie plusieurs mémoires : Sur la réfraction des corps solides ; Sur le calcul intégral, etc., qui le firent recevoir, deux ans après, dans l'illustre société.

Un grand nombre d'autres écrits augmentèrent en peu de temps sa renommée. Parmi les plus intéressants, on voit : Traité de dynamique (1743). D'après le principe énoncé dans cet ouvrage, les recherches les plus difficiles de la dynamique ne sont plus que de simples questions d'équilibre ; c'est une règle fondamentale qui a beaucoup simplifié la résolution d'un problème de dynamique. Mémoire sur la cause générale des vents (1746), qui valut à son auteur le prix de l'Académie de Berlin, académie où d'Alembert fut reçu par acclamation. Recherches sur la précession des Equinoxes (1748). Essai d'une théorie nouvelle sur la résistance des fluides (1752). De 1754 à 1756 : Recherches sur différents points importants du système du monde.

Ensuite parurent les Opuscules mathématiques. Le XVIIIe siècle a eu dans d'Alembert un de ses plus grands hommes ; ne voyant en lui que le géomètre, nous passerons sous silence ses autres travaux, où, disons-le, la modération fait quelquefois défaut.

Son Discours préliminaire de l'Encyclopédie, traitant des sciences comme des lettres, doit être mentionné ici ; on y reconnaît partout une main de maître, tant pour la partie mathématique que pour la partie littéraire. Dans ce monument ayant nom : Encyclopédie du XVIIIe siècle, d'Alembert a revu beaucoup d'articles de mathématiques et de physique. L'esprit de méthode qui distinguait le grand géomètre se rencontre dans tout ce qu'il a écrit pour cette fameuse publication, dont il fut un des promoteurs ; il y eut pour collaborateur son ami Diderot. Animé d'un grand zèle pour le progrès des sciences, le génie qui nous occupe ne négligea rien pour leur propagation. Au talent il joignit souvent des qualités qui le firent estimer ; son désintéressement est connu : Frédéric le Grand lui avait offert, à la mort de Maupertuis, la présidence de l'Académie de Berlin, d'Alembert refusa ; vers la même époque, l'impératrice de Russie lui avait proposé la charge de précepteur du prince héritier avec cent mille livres d'appointements ; l'argent ne pouvait le tenter, il aimait la France et rien ne la lui aurait fait quitter. C'est au sujet de ce refus que le grand-duc de Russie, étant venu plus tard à Paris, répondit aux excuses du savant : En vérité, monsieur, c'est le seul mauvais calcul que vous ayez fait en votre vie !

Laharpe, son contemporain, loue en ces termes le caractère et la générosité de d'Alembert : " Il avait de la malice dans l'esprit, mais de la bonté dans le coeur ; et si on lui a reproché des traits d'humeur ou de prévention, il était incapable de la fausseté et de la méchanceté que Rousseau, son injuste ennemi, lui a très injustement attribuées. Il remplit constamment tous les devoirs de l'amitié et ceux de la reconnaissance, et les uns et les autres, jusqu'au dévouement ; ceux de ses places académiques, avec une régularité qui était de zèle et de goût, et ceux de l'humanité et de la bienfaisance, avec une simplicité qui était dans son caractère. Ses libéralités ne se bornaient pas à cette classe de jeunes littérateurs dont les premiers travaux ont souvent besoin de secours de toute espèce ; elles descendaient tous les jours jusqu'à cette classe ignorée que n'appelait pas à lui la conformité d'état, et qu'on ne va jamais chercher que par le désir de faire du bien. Si les potentats de l'Europe le connaissaient par son génie, le peuple indigent ne le connaissait que par des bienfaits qui lui avaient appris son nom, et qu'il ne pouvait payer que par des bénédictions et des larmes. " (Philosophie du XVIIIe siècle)

Comment faire un plus bel éloge de cet émérite mathématicien-philosophe ? Nous regrettons de ne pouvoir parler plus longtemps de d'Alembert, le cadre de notre étude est déjà dépassé, nous nous arrêterons ici. Ce célèbre géomètre, membre de nos deux académies, mourut le 29 octobre 1783.

On consultera avec profit pour sa vie et ses écrits : "l'Eloge de d'Alembert par Condorcet", et quelques pages de l'ouvrage très connu : "Correspondance de Grimm et de Diderot". 1753-1890 [sic].

Charles Mirault.
 
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