Les Œuvres complètes de D'Alembert (1717-1783)
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Publié dans le Bulletin de la Société Française
d'Etude du Dix-Huitième Siècle
58, octobre 2005.

Où en est-on de l’édition des Œuvres complètes
de D’Alembert ?

par Pierre CREPEL

Il est bon, de temps à autre, de faire le point sur une édition d’une cinquantaine de volumes, impliquant une trentaine de personnes, et touchant à peu près à tous les aspects du XVIIIe siècle.

Rappelons que cette édition, suite à des compromis chronologico-thématiques douloureux, se composera des cinq séries suivantes, comportant chacune une bonne dizaine de volumes (CNRS-Editions) :

  • Série I : Traités et mémoires mathématiques, 1736-1756
  • Série II : Articles de l’Encyclopédie
  • Série III : Opuscules et mémoires mathématiques, 1757-1783
  • Série IV : Mélanges historiques, philosophiques et littéraires
  • Série V : Correspondance générale

On en trouvera des présentations, avec toutes les références, notamment sur le site de l’édition : http://dalembert.univ-lyon1.fr
Bien que les travaux préparatoires (inventaires, décisions éditoriales, répartition des contributeurs, etc.) ne soient jamais terminés, ils sont néanmoins suffisamment avancés pour que l’édition soit passée depuis 2002 dans une nouvelle phase : celle de la sortie des volumes !

Les volumes parus ou en cours d’impression

Les deux volumes arrivés en tête concernent l’astronomie. Le volume I/6, Premiers textes de mécanique céleste (1747-1749), établi par Michelle Chapront-Touzé, de l’Observatoire de Paris, est sorti en librairie en novembre 2002. Le second, volume I/7, Précession et nutation (1749-1752), établi par la même astronome et par Jean Souchay, a été remis à CNRS-Editions en ce mois de juillet et devrait donc paraître rapidement. Le premier est constitué essentiellement d’inédits autonomes, dont une importante théorie de la Lune, qui semblait oubliée des chercheurs. Le coeur du second est au contraire un ouvrage unique de 1749, alors bien diffusé, mais jamais réédité : Recherches sur la précession des équinoxes et sur la nutation de l’axe de la Terre. Il s’agit de deux livres difficiles, qu’un scientifique d’aujourd’hui ne pourrait lire et comprendre sans explications et sans mise en contexte. Dans les deux cas, ce sont des éditions critiques et commentées, suivant un cahier des charges exigeant, avec introductions générales d’environ cent pages, tables analytiques, variantes, instruments de travail divers, annotations abondantes. Ils servent sinon de « modèles », du moins d’exemples de base pour les autres volumes scientifiques, c’est-à-dire ceux des séries I et III.

Les autres volumes scientifiques dont la parution est prochaine

On pourrait dire que le volume I/7 respecte la règle des trois unités : de lieu (il s’agit d’un livre publié par l’auteur), de temps (il est écrit rapidement en une fois) et d’action (c’est un sujet précis de mécanique céleste). Le volume I-6 ne satisfait qu’aux deux dernières unités, puisqu’il se compose d’un regroupement factice de mémoires soit inédits, soit parus dans des volumes académiques différents. Malgré les efforts du comité d’édition pour suivre les préceptes de l’Art poétique de Boileau, tous les cas existent ici. En particulier, dans la seconde moitié de sa vie, D’Alembert a principalement fait connaître ses recherches sous la forme d’Opuscules mathématiques, c’est-à-dire de recueils hétéroclites de mémoires ou de bouts de mémoires, ajouts, appendices et notes sur différents sujets (mécanique, astronomie, fluides, probabilités, optique, mathématiques pures ...) : on jouit alors d’une unité de lieu, voire de temps, mais certainement pas d’action. Les volumes dont l’état d’avancement actuel est le plus encourageant sont les volume III/1 (coordonné par l’auteur de ces lignes), III/4 (par Guillaume Jouve), III/8 (par Alexandre Guilbaud). Mais tous doivent être menés de front pour des raisons intrinsèques à la façon de travailler de D’Alembert et nécessitent la coopération de cinq à dix chercheurs spécialistes des questions traitées. Le plus prudent est de ne pas donner de dates de parution, mais on peut au moins dire qu’une version complète de travail, présentée et annotée, circule à l’intérieur du groupe pour le volume III/1, où on est donc au stade des améliorations et relectures.

Avant cela, le volume I/4, consacré aux grands mémoires de calcul intégral des années quarante et du début des années cinquante et « a cura di Christian Gilain » en est aux finitions et devrait être déposé bientôt à CNRS Editions. Divers autres volumes peuvent avancer plus vite (ou moins vite) que prévu ... : Ainsi le volume III/11, consacré aux relations de D’Alembert avec les académies scientifiques, en particulier à ses rapports de commissaire à l’Académie des sciences, ainsi qu’à ses tentatives malheureuses de réformes de cette institution. Dans ce cas, on peut admettre une certaine unité de lieu (l’Académie), mais ni de temps ni d’action, puisque le volume s’étend de sa prime jeunesse à sa mort et traite de tous les sujets possibles et imaginables.

La correspondance, son inventaire et l’édition des lettres

Les lecteurs du Bulletin, qui doivent être littéraires à 90%, souhaiteraient certainement que je passe plus vite aux séries II, IV et V. Voici. Un premier inventaire de la correspondance active et passive de D’Alembert avait été établi par John Pappas (SVEC 245, 1986 et 267, 1989) ; mais on retrouve de nouvelles lettres, on constate des doublons, par exemple entre des lettres imprimées ou des manuscrits identiques portant des dates différentes, de nouvelles datations sont établies (beaucoup de lettres de D’Alembert étaient non datées). Et quand on passe au moment de l’édition des lettres (de et à D’Alembert), on voit apparaître de nouvelles exigences dont les premiers dépouillements pouvaient se dispenser. De la même façon que l’édition de chaque volume suppose une vue d’ensemble de l’« œuvre » et de ce que nous considérions comme tel, un inventaire de tous les textes, il fallait ici définir un corpus de « lettres » et les règles de sa description. Une définition plus précise des différents « genres » de lettres, du plus privé au plus public a ainsi été proposé, et le lecteur saura s’il doit chercher une « lettre » dans la correspondance ou dans les autres séries. Une description précise des sources et des imprimés lui permet également d’accéder à cette correspondance mal connue. Le nouvel inventaire (volume V/1), totalement repris à l’initiative d’Anne-Marie Chouillet, puis d’Irène Passeron et de Jean-Daniel Candaux, comprend en particulier des résumés des quelque 2200 lettres dont une trace matérielle a été retrouvée ; il en est à la dernière étape des relectures et devrait être déposé chez l’éditeur dans quelques mois. Des prototypes circulent pour l’édition annotée de la correspondance elle-même (volume V/2 et suivants).

La mise en place d’une politique de la série IV

Jusqu’à une date récente, nous n’avions pas vraiment de politique éditoriale pour la série IV. En effet, ce sont des scientifiques qui sont à l’origine de l’entreprise et l’urgence était d’ailleurs d’éditer proprement, et de façon compréhensible, les travaux scientifiques de D’Alembert, dont pratiquement aucun n’avait fait l’objet de rééditions. Les textes plus littéraires, historiques et philosophiques de l’auteur sont, au moins grossièrement, accessibles, par exemple par les éditions des « Oeuvres » du XIXe siècle (Bastien : 1805, Belin : 1821-1822). On sait que D’Alembert a publié les mêmes choses plusieurs fois en les modifiant, mais aussi en les recyclant partiellement et en les mélangeant, et que ces oeuvres ont fait l’objet de débats compliqués. Les décisions éditoriales, jamais simples, l’étaient ici encore moins. Nous reviendrons ultérieurement sur ce point une fois qu’elles seront complètement arrêtées ; disons seulement que les recherches sont lancées, qu’un groupe de travail se met en place principalement à Lyon, en particulier autour des volumes suivants, aux titres provisoires : Traductions de Tacite, par Catherine Volpilhac-Auger Eloges et Histoire de l’Académie française, par Olivier Ferret Destruction des jésuites, par Henri Duranton Elémens de philosophie et autres écrits, par Véronique Le Ru

Les publications issues de l’édition

Le travail d’édition débouche non seulement sur les volumes des O.C. et ultérieurement sur des publications électroniques, dont le site va donner au fur et à mesure une préfiguration, mais il permet des études sur D’Alembert, son environnement, son siècle, ses amis et adversaires, la science de son temps ... Il a déjà été question dans ce Bulletin de certaines de ces activités, nous nous contenterons ici d’évoquer le numéro 38 de la revue Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie (avril 2005), entièrement consacré à « La formation de D’Alembert, 1730-1738 ». Ceci est le résultat d’un colloque organisé à Lille en septembre 2003 par François De Gandt, Alain Firode et Jeanne Peiffer. Ce recueil traite en particulier du Collège Mazarin (des Quatre-Nations) et des querelles jansénistes qui y sont liées, des enseignements suivis par D’Alembert (Caron, Gibert, Geffroy), de ses premières lectures notamment mathématiques (Varignon, Guisnée, Reyneau, Newton ...). Il s’agit d’un ensemble de plus de deux cents pages qui renouvelle grandement le sujet, jusque là abordé par bribes : il sera à la base du volume I/1 de l’édition.

Les activités « circumdalembertiennes »

Nous terminerons cette brève revue en élargissant une nouvelle fois le cercle et en évoquant spécialement les initiatives portant sur des contemporains de D’Alembert. Les éditeurs participent évidemment à diverses recherches plus générales d’histoire des sciences ou des idées qui touchent à D’Alembert : sur l’Encyclopédie, l’histoire de la mécanique ou des mathématiques, etc. Nous explorons aussi de façon assidue, sinon systématique, les personnages, notamment les savants, souvent moins connus, qui ont été en contact étroit avec D’Alembert, et nous menons en général ces activités en liaison avec des collectivités territoriales, des sociétés d’histoire locale ou des institutions intéressées, en particulier en Rhône-Alpes. C’est ainsi que nous avons organisé des colloques sur Bossut (Tartaras et Rive-de-Gier, Loire), les « ennemis de D’Alembert » (Trévoux), Montucla (Collège de la Trinité devenu Lycée Ampère, Lyon), Lalande (Bourg-en-Bresse), Bourgelat (Ecole vétérinaire de Lyon), Fontaine (Cuiseaux, Saône-et-Loire). Les actes n’en sont pas nécessairement publiés, mais des articles en sont issus. Un colloque préparé par Jeanne Peiffer sur l’abbé de Gua de Malves devrait avoir lieu à l’automne 2006 ; nous travaillons également à une initiative sur H. de Ratte (Montpellier). Signalons dans le même ordre d’idées la thèse de Liliane Alfonsi, qui sera bientôt soutenue, sur Bézout.

 
Contacts
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Institut de mathématiques de Jussieu - Paris Rive Gauche
Case 247
4 place Jussieu
75252 Paris cedex 05
E-mail : alexandre.guilbaud@imj-prg.fr, irene.passeron@imj-prg.fr
Crédits

La première version de ce site avait été réalisée par Maher Mejai en 2001 sous l'impulsion de Pierre Crépel, puis enrichie et administrée par Alexandre Guilbaud à partir de 2002. La deuxième version du site de l'édition des Œuvres complètes de D'Alembert a été développée et est administrée par Alexandre Guilbaud (UPMC, IMJ) et François Prin.

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